Archives pour la catégorie Non classé

Prix UNESCO 2013 La Culture Arabe résiste au temps

Mustapha Cherif

Je remercie l’UNESCO et l’Emirat de Shariqa pour cette haute distinction qui m’honore et à travers ma personne honore mon pays l’Algérie. Le prestigieux prix Unesco Shariqa de la culture arabe et du dialogue des cultures récompense aujourd’hui mon inlassable parcours des trente dernières années et ma vocation d’intellectuel passeur entre les deux rives. Cette reconnaissance internationale témoigne de l’expression des nobles principes fondamentaux de paix de l’Unesco en harmonie avec les valeurs de la culture arabe et du patrimoine de mon pays qui inspirent mon action : toute culture d’avenir qui touche les cœurs et la raison est une culture du dialogue, de l’interconnaissance et de la coexistence.

J’ai une pensée pour la grande figure emblématique qui éclaire ma voie, l’Emir Abdelkader El-Djazairi, le père de la renaissance de la culture arabe, chevaleresque et humaniste. Il avait répondu qu’il avait sauvé des milliers de chrétiens à Damas « par fidélité à la foi musulmane et pour respecter les droits de l’humanité ». Je peux dire que pour ces raisons j’œuvre à la promotion de la culture arabo-musulmane et au rapprochement interculturel entre les peuples. Tissant sans cesse des liens entre les cultures, j’enseigne que vivre ensemble est possible.

Quel avenir pour la culture arabe en ce XXIe siècle ? Tel est le thème de notre cérémonie. Ma réponse se veut directe et claire : la culture arabe résiste au temps et représente une chance pour faire reculer l’uniformisation. Ses atouts résident dans son sens de la fidélité aux racines, de l’ouverture au monde et du respect de la diversité. Elle se veut une culture de l’éthique et de la transversalité, qui puise dans le monothéisme, l’humanisme et l’ancestral.

Elle rappelle nos sources communes et répond à l’aspiration fondamentale pour une vie libre et digne. La culture arabe nous permet de nous affirmer tels que nous nous voulons. Elle propose le renouveau, (tajdid), et l’interprétation (l’ijtihad), sa version de la vérité de l’existence, pour rendre l’humain à la plénitude première.

Hier creuset d’une révolution de la parole et de l’écrit, elle a été un pont entre le monde ancien et le monde moderne, entre l’Orient et l’Occident, notre civilisation commune était islamo-judéo-chrétienne et gréco-arabe. Demain, si nous restons à l’écoute de la pluralité, si nous savons être à la hauteur de la culture arabe, trait d’union qui articule authenticité et progrès, qui appelle au respect de l’égale dignité, et magnifie la fraternité et l’hospitalité, nous réinventerons une civilisation universelle qui aujourd’hui fait défaut.

La culture arabe se fonde sur l’idée de la communauté médiane, umatou el wassat, et de l’homme universel, al insan al kamil, pour réaliser le vivre ensemble. Elle traduit la capacité de s’élever. Cela implique l’effort d’ouverture et la reconnaissance des différences comme richesse. La culture arabe intègre la variété du dedans et celle du dehors.

Pour la culture arabe, il s’agit de garder vivant le sens plénier de l’existence, où le ciel et la terre s’harmonisent, où le local se conjugue avec la mondialité, où l’individu et la collectivité ne s’opposent pas, où l’on éduque à la culture de la paix et à l’acceptation de désaccords raisonnables. D’autant que la culture arabe appartient à de multiples horizons. L’Histoire le montre : africain, berbère, asiatique, européen. Sa langue, sa littérature et son art de vivre témoignent d’un sens inépuisable de la synthèse du monde.

Nous avons à examiner par le dialogue comment résister à la déshumanisation, à la marchandisation et aux extrémismes. La référence qui reste valable ne consiste pas dans ce qu’un seul monde souhaite, mais dans ce qu’ensemble nous pouvons reconnaître comme des finalités. Pratiquer l’interculturel, favoriser la diversité, est un facteur de progrès humain. Dans un monde désorienté, c’est cette voie de l’émulation pour le bien commun, à laquelle nous invite la culture arabe. Je vous remercie.

Mustapha Cherif

25 Avril à l’UNESCO

Prix UNESCO Sharjah pour la culture arabe

et le dialogue interculturel

L’universitaire et essayiste Mustapha Chérif (Algérie) et l’Arab British Centre (Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord) sont les lauréats 2013 du Prix UNESCO-Sharjah pour la culture arabe et dialogue interculturel. La Directrice générale de l’UNESCO, Mme Irina Bokova, remettra le prix aux deux lauréats le jeudi 25 avril 2013 au siège de l’UNESCO, à Paris.

Invitation à la cérémonie, le jeudi 25 avril 2013 à Paris

Quand ? Jeudi 25 avril 2013 de 17 à 21 heures.

? Maison de l’UNESCO – 125, avenue de Suffren, Paris 7e. Métro : Cambronne, ligne 6 ; Ségur, ligne 10 ; École militaire, ligne 8.

Quoi ? Pour la 11e Édition du Prix UNESCO-Sharjah pour la culture arabe, trois moments forts marqueront cette cérémonie :

17 h 00 : Cinq personnalités, d’horizons et de secteurs d’action différents, se suivront sur scène pour tenter de répondre à cette question : Quelle place pour la culture arabe dans le monde de demain ? <Plus de détails dans le programme>

19 h 00 : Cérémonie de remise du Prix aux deux lauréats en présence de Mme Irina Bokova, Directrice générale de l’UNESCO.

20 h 00 : Concert de musique arabe par le groupe palestinien the Khoury Project.


Enregistrement obligatoire en replissant le formulaire.

Mustapha Cherif reçu par le nouveau Pape François 1er

Mustapha Cherif et le Pape François 1er

ROME- Le Pr Mustapha Chérif, qui se trouvait à Rome pour recevoir le prix de la culture de la paix, a été reçu au Vatican en audience par le nouveau souverain pontife, François, dans le cadre du dialogue inter-religieux, a appris jeudi l’APS.

Le Pr. Mustapha Chérif était parmi les personnalités représentatives des autres grandes religions et cultures du monde, qui ont rencontré le pape.

L’universitaire et penseur algérien, qui avait rencontré le précédent pape, a estimé que l’entrevue avec le pape François, était « un privilège » qui lui avait permis de « présenter le vrai visage de l’islam et ses voeux pour le renforcement du dialogue interculturel et inter-religieux ».

A cette occasion, il a expliqué au souverain pontife que « l’Algérie terre d’hospitalité et carrefour des civilisations à toujours été à l’avant garde de la défense de la dignité humaine et de l’amitié entre les peuples ».

Le pape François a affirmé en réponse, qu’il était « important de promouvoir l’amitié et le respect entre les différentes traditions religieuses pour réaliser la coexistence pacifique entre les peuples », selon l’universitaire algérien.

Le pape qui a salué les musulmans, a fait part de l’ »estime réciproque et du travail commun à accomplir pour le bien de l’humanité ».

Source : APS

http://www.aps.dz/Dialogue-inter-religieux-Le.html

Dialogue culturel Euro-Arabe

UNESCO, Paris 30 Janvier 2013

Dialogue culturel Euro-Arabe

Education et Jeunesse

Par Mustapha Cherif

Son excellence la DG de l’UNESCO, Madame Irina Bokova, excellence, Madame l’ambassadeur de l’UE auprès de l’UNESCO, Monsieur l’Ambassadeur chef du bureau de la LEA auprès de l’UNESCO, Mesdames et Messieurs les ambassadeurs, honorables invités, c’est un grand honneur de m’adresser à votre auguste assemblée. Nous sommes fiers d’être profondément attachés à l’Unesco qui aujourd’hui, sans l’ombre d’un doute, jouit d’une crédibilité exemplaire aux yeux de l’opinion publique internationale et en particulier arabe. Dans un monde en crise permanente, l’UNESCO œuvre pour la paix et le rapprochement entre les peuples avec détermination et notre rencontre en est l’illustration. La problématique posée par le présent colloque est au cœur des enjeux des relations internationales et de l’avenir du monde. Depuis longtemps le monde arabe exprime son souci du dialogue culturel euro-arabe.

Par le passé, autour de la Méditerranée, par delà des moments de heurts, la circulation des cultures a donné au monde une lumineuse civilisation, « judéo-islamo-chrétienne » et « gréco-arabe ». Le défi est de retrouver un ensemble commun, où le pluralisme et le droit à la différence sont respectés.

Cette possibilité est aujourd’hui contredite par le système mondial hégémonique uniformisant, les extrémismes de tous bords et la sous culture consumériste, qui ne favorisent pas l’acceptation d’autrui différent. La jeunesse est perturbée. D’où l’importance d’apprendre à dialoguer. Par l’éducation interculturelle au profit de la jeunesse, il sera possible de réinventer une nouvelle civilisation commune qui fait défaut.

Ce défi exige de nous tous de mettre l’accent sur des normes universelles communes et éduquer au respect du droit à la différence. Apprendre à la jeunesse d’articuler spécificité et mondialité, l’un et le multiple, est la tâche de l’heure. Les principes fondateurs de l’UNESCO et ses «Lignes directrices sur l’enseignement de l’éducation interculturelle» sont une source de références pour tous les éducateurs. Il est utile de rappeler que cinq recommandations font consensus, notamment en ce début de la « Décennie internationale du rapprochement des cultures » :


- Nourrir la culture du dialogue dés le jeune âge.

-Enseigner les bienfaits de la diversité culturelle.

-Créer des outils et espaces pour l’interconnaissance culturelle.

-Utiliser les NTC pour former la jeunesse.

- Favoriser les échanges et les rencontres interculturelles.

Il s’agit d’éduquer à la culture de la paix, à l’acceptation de la différence, de la multi-appartenance et de désaccords raisonnables, afin de favoriser la coexistence. L’interconnaissance est essentielle. Pour qu’une «communauté de culture » ait une existence réelle, les individus qui la composent doivent avoir la possibilité de partager leurs repères, qui donnent du sens à leur vie, chaque fois singulier et la dimension du vivre avec les autres.

Apprendre à vivre ensemble, passe par cette reconnaissance. Il est illusoire autrement de prétendre reconnaître la culture des autres comme telle. Pour ce faire, les programmes éducatifs devront intégrer cette approche du respect mutuel.

À cette condition, l’élargissement de notre sentiment d’appartenance à l’humanité toute entière l’emportera. Chaque jeune doit apprendre que nul ne doit imposer à tous les autres une norme dont il veut qu’elle soit une loi universelle. Nous avons à apprendre à soumettre notre norme à tous les autres, afin d’examiner par le dialogue notre prétention à l’universalité. La référence valable ne consiste pas dans ce qu’un seul monde souhaite unilatéralement, mais dans ce qu’ensemble nous pouvons reconnaître comme une norme universelle.

Avec l’introduction, aux programmes scolaires, de la matière intitulée « Interculturel », nous pourrons, européens et arabes, apprendre à notre jeunesse à pratiquer le dialogue, le débat, la confrontation pacifique des idées, car nul n’a le monopole de la vérité. Mettre en pratique une citoyenneté de l’altérité est une exigence de l’école du futur. Vivre ensemble, dans un paysage de diversités culturelles et de différences multiples, impose des règles et une pédagogie. Se faire comprendre et comprendre autrui n’est pas systématique. Cela nécessite un savoir, des méthodes et un état d’esprit, un nouveau paradigme.

Rien n’est donné d’avance, vivre ensemble en bonne intelligence nécessite un apprentissage. Nous savons que tout être porte en lui deux tendances : l’une est celle de l’égocentrisme; l’autre est le souci du partage. Notre monde en crise confronté à des problèmes multiples, favorise trop souvent la première tendance. Le travail des institutions et des Hommes dotées du savoir et des compétences, ont pour mission de mettre l’accent sur la deuxième dimension.

Permettez-moi de partager avec vous une conviction : conjuguer modernité et authenticité sera possible grâce au dialogue interculturel euro-arabe. D’autant que nul n’est monolithique. Nos cultures sont imbriquées, liées, entremêlées. Nous devons l’inculquer à la jeunesse. Certes, la culture européenne met l’accent sur l’individu et l’exercice de la raison sans condition ; la culture arabe, tout en revendiquant la rationalité, tient à la valeur de l’éthique et de l’être commun.

Les deux approches sont différentes, mais ne sont pas antinomiques. Elles sont complémentaires et ne peuvent que s’enrichir l’une de l’autre. Eduquer la jeunesse sur ces bases permettra de mettre fin aux préjugés et découvrir une vérité historique : nous sommes bien plus proches que ce que les imaginaires des uns et des autres veulent faire croire.

Les NTIC démontrent que les jeunes ne sont pas dupes. Ils savent dépasser les différences, sans les nier. Eduquer une jeunesse ouverte à l’altérité est le meilleur rempart contre toutes les formes de nivellement, d’exclusion et de conflits. Une jeunesse cultivée est le meilleur remède contre la violence. Aucune région du monde n’a le droit d’imposer aux autres sa conception de l’existence. Il n’y a pas d’alternative au dialogue pour apprendre à vivre ensemble. C’est une responsabilité collective.

Je vous remercie.

Mustapha Cherif, Professeur des Universités, spécialiste de la culture arabe et du dialogue des cultures, ancien ministre de l’Enseignement Supérieur (Algérie)

Lu

Lu dans El Watan

le 13.12.12 |

Publication. Le Coran et notre temps de Mustapha Chérif

Immersion dans la pensée musulmane

Taille du texte normaleAgrandir la taille du texte

Nouvel essai de Mustapha Chérif, ancien ministre, professeur à l’Université d’Alger et spécialiste de la civilisation musulmane et du dialogue des cultures.

S’appuyant sur une démarche académique empruntant aux sciences sociales pluridisciplinaires les méthodes scientifiques les plus éprouvées, l’auteur invite le lecteur musulman et non-musulman à une immersion dans la pensée musulmane et à une lecture «ijtihadiste» du Coran, loin des dogmes et de la compréhension rigide et ritualiste des tenants de l’orthodoxie musulmane portée par le courant salafiste. Le propos est d’actualité et l’auteur n’a pas manqué d’ailleurs dans le préambule de planter le décor, affirmant que «l’image de l’Islam est méconnue et se trouve au cœur de problèmes et d’enjeux qui secouent le monde».

Surtout, précise-t-il, depuis la chute du mur de Berlin et les attentats du 11 septembre 2001. «Il est impérieux de travailler à une lecture et à une présentation du Coran qui répondent aux exigences des temps contemporains», souligne l’universitaire. Tout au long de son essai de 366 pages, paru aux éditions ANEP, Mustapha Chérif se fera le fervent défenseur de l’ijtihad (interprétation) quant à la lecture et l’exégèse du Coran. A la présentation linéaire et figée dans le temps et l’espace de certains penseurs musulmans autoproclamés gardiens de l’authenticité du message coranique, l’auteur oppose une lecture audacieuse du Livre Saint, fondée sur une analyste structuraliste qui ne fait pas dire autre chose au Coran que ce qui est véhiculé par la Parole révélée. Rien de plus, rien de moins.

Mustapha Chérif défend, dans cet essai, l’idée d’un Islam, religion d’ouverture et de tolérance qui concilie authenticité et progrès, foi et raison , temporel et spirituel comme il l’a fait du reste dans tous ses autres ouvrages et dans ses positions et déclarations publiques sur l’universalité du Livre Saint, autant que sur son intemporalité. «En tant que Message pour une grande partie, le Coran a une ligne directrice, des aspects clairs, permanents, valables en tout temps et lieu. En même temps, il véhicule parfois des informations que nous pouvons appréhender différemment d’un lecteur à l’autre, d’une époque à l’autre, selon le contexte et à la mesure de la compréhension de chacun», argumente l’auteur, qui renvoie dos à dos le «courant de la tradition fermée» et le «courant dit moderniste qui impute à l’Islam les dérives extrémistes commises en son nom».  «L’Islam se veut Orient et Occident, favorable au progrès, au vivre ensemble et à la diversité», relève l’universitaire.

Pour mieux comprendre la profondeur du Message coranique, Mustapha Chérif invite les lecteurs à découvrir le processus historique de la révélation du Message divin depuis la «descente» des premières sourates, en s’arrêtant sur les périodes charnières de la collecte et de l’authentification des versets par les différentes chevilles ouvrières que furent d’abord le prophète Mohamed (QSSSL), et ensuite les différents califes qui ont patiemment rassemblé, sauvegardé les matériaux sacrés sous forme d’écrits immortalisés sur des feuilles de palmiers, des omoplates de chameaux et sur des pierres plates, avant d’être envoyés à l’édition avec l’avènement de la Révolution industrielle et de l’imprimerie.

Dans son essai, l’auteur se livre à une analyse de certains versets et sourates qu’il considère comme fondatrices de la dimension infinie, inimitable, universelle du Coran. Tout comme il s’efforce de dépeindre le portait du bon musulman à la lumière de la pratique religieuse puisée de l’observation des cinq piliers de l’Islam, dont il dissèque avec un grand souci didactique le sens profond et le message authentique prôné par le Livre Saint.

O.B

Choc ou alliances des civilisations?

Choc ou alliances des civilisations?

Par Mustapha CHERIF*

« Dialogue des civilisations », ces mots sont tellement usés que leur usage est suspect. Dans un contexte où le cynisme, la cruauté, l’arrogance et le double langage sont banalisés, ne servent-ils pas d’enseignes à l’entreprise de justification de l’hégémonie, dont la loi est celle de la concentration croissante des richesses et des instruments de décision, même si d’autres pôles sont en cours d’émergence ? Celui qui se déclare algérien, maghrébin, arabo-berbère, méditerranéen, africain, héritier de l’esprit de l’Andalousie, connaît la valeur réelle de ces mots. Alors que les deux mondes, Occident –Orient, sont mêlés et imbriqués, et qu’aujourd’hui on peut dire que la distinction entre eux n’a pas vraiment lieu d’être, des propagandistes cherchent à les opposer et à imposer l’amnésie afin de faire diversion aux injustices et souffrances. La riche histoire de notre pays prouve qu’il est possible d’articuler culture de la résistance et ouverture sur le monde.

Durant des siècles se sont mêlés des peuples d’Orient et d’Occident. Dialoguer est une pratique ancienne et sage. Pourquoi ne serions-nous pas capables de nous penser comme un creuset pour une culture encore inédite ? La « mondialité » peut porter les chances d’un espace commun de sens possible. Ce monde est bien le nôtre, celui de tous. Cependant, trois causes au moins nourrissent la logique de la confrontation : 1- L’ignorance 2- Les injustices et 3- la stratégie d’hégémonie. Cela suscite un regain de la xénophobie, d’une part et du fanatisme d’autre part. L’Algérie a toujours privilégié le dialogue, les solutions pacifiques et le rapprochement entre les peuples. Il y a urgence à dialoguer, pour désenclaver les cultures, car les identités repliées et cloisonnées sont la manifestation du problème. La sortie de crise morale mondiale passe par le dialogue interculturel.

On ne dialogue pas pour dicter sa loi. Un dialogue n’est pas seulement un face-à-face avec autrui, il est avec soi-même acceptant d’être transformé. On a besoin les uns des autres, nul ne peut faire face seul aux défis complexes et multiples de notre temps, les enjeux sont les même pour tous, à commencer par celui du risque de déshumanisation, quelque soit la différence entre faibles et puissants. Le dialogue interculturel, doit favoriser des réponses crédibles face aux défis éducatifs communs, tels comment l’Ecole et l’Université doivent-elles faire coexister les deux cultures, celle des humanités et celle de la scientificité, celle des valeurs éthiques et celle de la logique du Marché, celle de la mémoire et celle du futur ? Comment articuler l’excellence avec la massification, le primat de la vérité et l’éthique de la connaissance avec l’utilité et l’efficience?

Le Choc : une diversion

Les écrits depuis 1993 sur la stratégie du « clash des civilisations » sont l’expression de l’ignorance et de l’invention inique de l’image d’un nouvel ennemi après la chute du mur de Berlin en 1989. L’islamophobie est une diversion ancienne. Le concept insensé de « choc des civilisations » réduit les tensions à des questions culturelles, alors que les civilisations sont pas natures ouvertes les unes sur les autres. Malgré des siècles de rapports féconds, l’islamophobie au Nord et les courants du repli au Sud présentent des tableaux tronqués, ils nient les liens entre les cultures. Des jugements de valeur refusent la diversité et opposent des blocs imaginaires.

L’Occident a été judéo-islamo-chrétien et gréco-arabe. Le monothéisme, l’humanisme et la Méditerranée sont nos sources communes, combinées, entremêlées et recomposées. Il n’y a pas d’hostilité entre les civilisations, mais des courants tentent de cibler autrui différent comme ennemi, afin que les pulsions de violence qui sommeillent en chacun exacerbées par les misères économiques, psychiques, culturelles, les injustices, les inégalités et l’oppression, se déversent dans une autre direction que celle des systèmes dominants. C’est la politique du bouc émissaire, de la culture de la peur, qui désigne l’autre comme une menace. Il ne peut y avoir d’entente, d’échange et de partage si d’entrée de jeu on appréhende l’autre comme un ennemi potentiel. Dans ce contexte les courants xénophobes dénient à l’autre civilisation les points de convergences, la part qu’elle a prise à l’œuvre de l’humanité et refusent de reconnaitre en l’autre son droit à vivre librement ses multiples appartenances.

L’on ne pourra pas comprendre l’humanisme, « qu’est ce l’homme ? », sans dialoguer avec les autres civilisations. « L’humanisme ne pense pas assez haut l’humanitas de l’homme », reconnait la philosophie moderne. La civilisation de l’humanisme n’est pas visible, c’est parfois même le contraire qui transparait. Il ne s’agit pas de faire retour au sacré comme solution, mais de réactiver l’humanisme et l’éthique, car 1- l’autrui contribue à faire connaître ce que veut dire être « humain » 2- s’ouvrir à des normes communes a peu à voir avec les dangers que les approches fermées font courir à la liberté et à la dignité des hommes 3- vivre ensemble est incontournable. Les défis communs appellent à faire entendre la voix de cultures dignes de leurs hautes traditions, non pas seulement « modérées » – qualificatif faible- mais celles de l’interprétation, de l’ouverture, de la hauteur de pensée, ce qui n’exclut pas la vigilance, la critique et l’autocritique. Retrouver des normes culturelles universelles qui organisent le commun, sans avoir à nier autrui, est une des tâches essentielles de notre temps.

Des politiques et des médias imposent au Nord un discours négatif sur autrui différent, au Sud sur l’Occident. Les préjugés datent de 15 siècles. Edifier des passerelles, éducatives, épistémologiques et culturelles, est vital. La place primordiale de la culture ne peut être niée. Sans les dimensions humaines et culturelles, le partenariat sera amputé de l’essentiel. Le concept de « Maghreb » qui renvoi à des dimensions géoculturelles doit êtres gardé en vue, la Méditerranée n’est pas le lieu de la dilution. L’Algérie est centrale dans cet horizon et son parcours démontre que la notion de communauté médiane est possible.

La culture au cœur du débat

Sur le plan de l’histoire culturelle, l’Occident s’est forgé en opposition à ses altérités, dans un mouvement de rupture et d’appropriation de la raison, de la démocratie et de la sécularisation. Ces concepts méritent d’être réinterrogés, car contrairement aux préjugés, ils ne sont pas étrangers à d’autres cultures. Dans ce contexte, alors que tous les Européens ne confondent pas spiritualité et fanatisme, l’inconscient collectif considère le « musulman » comme l’étranger qui résiste au système de valeurs modernes. Que les musulmans fassent lever des questions est légitime. Nous devons accepter les critiques au sujet de conduites problématiques, mais pas les amalgames et les jugements hâtifs. Il est vital de reconnaitre à l’autre le droit de garder vivante sa culture, sans se couper du monde.

Les Lumières de la raison instrumentalisée n’ont pas éclairé la totalité de l’être humain, alors que des questions culturelles comme « Comment apprendre à vivre ? », « Qu’est-ce que l’homme ? », « Quel sens donner à la vie ? » se posent, on nous refuse le droit à la critique. Des opinions s’interrogent sur l’état du monde musulman : les débats sur la réforme, le pluralisme, la bonne gouvernance ? Ce n’est pas être islamophobe de poser ces questions. Mais, à l’opposé de ce qu’ils peuvent penser, il existe une islamophobie où c’est le Musulman, comme le Juif hier, qui est condamné. Hantée par la religion, l’Europe est traversée par deux mouvements, l’effort pour faciliter le partenariat et une tournure crispée envers les musulmans.

Il n’est pas exact que tout l’Occident assimile « culture traditionnelle » et « fanatique », mais des propagandistes pour masquer leurs impasses parlent de choc et font croire que la culture de l’autre est source de violence. Injustices et politique des deux poids et deux mesures contredisent, les principes civilisationnels. L’opinion finit par ne plus voir que la violence de l’autre, dont elle ne saisit pas les raisons. Certes, le monde entier constate à quels extrémismes peut conduire la dérive fanatique de certains « adeptes » d’une grande religion. L’usurpation du nom est injustifiable, « le musulman est parfois une manifestation contre sa religion » (1) affirmait, il y a un siècle, l’Emir Abdelkader El Djazairi. Comme le souligne Hannah Arendt, c’est souvent le résultat de provocations et d’injustices : « Dans les régimes totalitaires, la provocation… devient une façon de se comporter avec son voisin » (2).

Droit à la critique

Nous avons abouti à une situation ambivalente. Malgré les acquis de la sécularisation, le développement du savoir détaché des sources traditionnelles, comme l’a été le savoir arabe, l’émancipation en Europe vis-à-vis de l’autorité de la tradition et une séparation logique de la sphère du public et du privé, a abouti à la marginalisation des principes abrahamiques et à une remise en cause de la possibilité du dialogue interculturel, de la justice et du vivre ensemble. Le risque est celui d’une neutralisation des deux dimensions de l’homme : le politique (la démocratie) et le religieux (une éthique).

Après les mots d’ordre totalitaires « tout est politique » ou « tout est religieux », on impose « rien n’est politique, rien n’est religieux », pour laisser place au nihilisme et au nouveau mot d’ordre : « tout est marchandise ». Cette vision réductrice impose une seule et faible culture, une seule conception du progrès et des relations entre les peuples. Le dialogue de sourds est désastreux et partant les relations culturelles internationales ne sont pas démocratiques. Pratiquer l’autocritique afin de dépasser ses propres points d’aveuglements au sujet des dérives de sa tradition et celles du désordre mondial est un devoir.

La modernité a permis de l’émancipation et en même temps, compte de choix arbitraires de systèmes dominants, a produit des inégalités, des injustices et de la déshumanisation. Aujourd’hui, de plus en plus de peuples ont pris conscience de ce paradoxe et se veulent modernes et humains, libres et conformes à une éthique, cosmopolites et singuliers. Ces exigences sont prometteuses. Cela signifie que l’on peut répondre à la désignification du monde, autrement que par le repli.

Sur ce plan de la culture, le citoyen moderne n’a plus de lien avec la diversité. Le multiculturalisme est contesté par l’ambition d’hégémonie. Le système éducatif se trouve en crise de par la crise globale sociétale. Ce n’est pas la fin du monde, mais c’est la fin d’un monde. Il nous faut le comprendre pour inventer un autre qui échappe à toute fermeture. Sur le plan du savoir, l’aspect inquiétant est la remise en cause de la possibilité de penser autrement et du principe d’autorité. Deux récits paradoxaux de la culture moderne affirment que la culture traditionnelle doit servir à consoler sans se mêler du monde ou bien est aliénation. Faute d’échanges culturels continus et conséquents la recherche commune du juste, du beau et du vrai est hypothéquée. Les impasses se mondialisent, ce qui rend urgent le besoin d’une civilisation du vivre ensemble. L’Algérie creuset de civilisation défend le dialogue des cultures.

Finalité du dialogue

Le dialogue des cultures a au moins trois buts : l’interconnaissance, la mise en place de normes communes, et la justice sur tous les plans, pour apprendre à vivre ensemble la mondialité. Le repli est étranger à notre culture. Le citoyen de la rive Sud a participé et le peut encore, à la recherche de la civilisation. La rive Sud doit retrouver son ouverture sur la plus grande des communautés celle de l’humanité, tout en conjuguant unité et pluralité qui a permis l’épanouissement et le vivre ensemble. Les discours dominants en rive Nord de leur côté doivent mettent fin à la politique du déni de ce que nous avons en commun et arrêtent d’imposer de manière régressive une vision monolithique et unilatérale de la culture. Responsabilité partagée.

Les mesures concrètes en découleront pour éduquer, humaniser et responsabiliser, comme une chance partagée. Cinquante années après le recouvrement de sa souveraineté, l’Algérie, carrefour des cultures et terre d’hospitalité, compte tenu de ses valeurs, de son histoire et de sa géographie, assume son universalité et sa singularité et reste plus que jamais attachée au dialogue des cultures, en vue de forger une société de la connaissance et contribuer à édifier une nouvelle civilisation universelle. Sachant que nul n’a le monopole de la vérité et que la justice et la pluralité sont au cœur de toute dynamique porteuse de progrés authentique, l’homme de bonne volonté ne peut que choisir la recherche du savoir et le débat interculturel, dans le respect mutuel. Il reste un avenir.

*Mustapha Cherif est Professeur des Universités, ancien ministre de l’Enseignement supérieur, spécialste du dialogue des cultures.

Mail : intellectuels@yahoo.fr
1- L’Emir Abdelkader, Lettres aux français édits Anep
2- A Arendt, Le Système totalitaire, Edition Essais-Points.

Mon prochain ouvrage portera sur le Dialogue des civilisations !

la crise morale mondiale, la montée des extrémismes et l'ignorance, nous obligent à redoubler d'efforts pour diffuser une culture de la paix et de la coexistence ...nous avons pour devoir de répondre au besoin de vivre de maniere civilisée. Rechercher une nouvelle civilisation commune est un impératif.
le dialogue interculturel est la voie sage pour y parvenir.  
 

ALI LA POINTE L’homme, le héros

ALI LA POINTE
L’homme, le héros

Par Mustapha Cherif

Journal l’Expression 12 Mai 2011 – Page : 10

Gardons en mémoire la bravoure de nos aînés libérateurs.

La guerre de Libération nationale algérienne, la plus prestigieuse du XXe siècle, est une Epopée, une Révolution, une Histoire qui a ré-enfanté Al Djazaïr, l’Algérie libre. Le recouvrement de l’indépendance s’est fait sur la base du sacrifice suprême d’un million et demi de martyrs. Pour sortir de la longue nuit coloniale génocidaire, il a fallu que les fils de l’Algérie, sa jeunesse, prennent les armes, ultime recours, tant le système de la colonisation de peuplement était aveugle, féroce et sauvage. Certes, le temps révolutionnaire glorieux est passé, mais il doit toujours rappeler aux nouvelles générations les conditions de l’acquis inestimable du recouvrement de la souveraineté.
Gardons en mémoire la bravoure de nos aînés libérateurs, c’est le socle pour se projeter dans l’avenir, la référence fondatrice indépassable. Au début de la Résistance en 1830, le chef du Mouvement national, l’Emir Abdelkader, avait 23 ans, comme la moyenne d’âge de l’avant-garde de la Révolution de Novembre. L’Algérie est le pays de la jeunesse. Son histoire est marquée par le niveau de sa conscience patriotique.
Face aux nouveaux défis, il est plus qu’instructif de se souvenir et de rappeler le parcours de ses jeunes et éternels héros. Il s’agit de se nourrir de l’Esprit de Novembre, pour le bien commun, afin de perpétuer le patriotisme, de relever les défis contemporains et de donner du sens à la vie collective.
Tout citoyen algérien, quelle que soit sa lecture, ne peut que se ressourcer au Message fondateur du 1er Novembre 1954. La Révolution est la venue au monde d’une Nation, plus encore pour l’Algérie, terre d’un peuple forgé par le courage, la fierté et la dignité. La culture de l’Algérien est celle de la Résistance, de l’Emir Abdelkader au 1er Novembre.

Un symbole
Une des jeunes figures emblématiques de la glorieuse Révolution est celle de Ali Amar, le surnommé Ali la Pointe. Dès mon jeune âge, à l’Indépendance j’avais onze ans, mon imaginaire admiratif était habité par cette figure native de ma ville, Miliana. Mes parents, mes aînés, mes maîtres d’école, me parlaient d’Ali la Pointe. Des membres de sa famille et de ses amis ou valeureux compagnons d’armes vivent encore et témoignent avec émotion de ce héros national.
Miliana et sa région sont riches de son histoire patrimoniale et nationaliste. Le saint patron soufi, cheikh echouyoukh, Sidi Ahmed Benyoucef, au début du XVIe siècle, avait donné sa bénédiction aux frères Barberousse, Aroudj et Kheir-Eddine, requis par lui, pour organiser la résistance contre les Espagnols qui occupaient des villes côtières. Dans le même sillage, durant la lutte de Libération nationale, la Zaouïa-Mausolée fut le refuge de moudjahidine. D’innombrables grands militants et combattants, de Si M’hamed Bougarra à Si Bouras Mohamed, Si Mustapha Ferroukhi et Ali la Pointe ont marqué les esprits de la région du Zaccar et au-delà.
Les Algériens ont découvert ce héros phare, grâce au film mythique La Bataille d’Alger. Dans sa ville natale, à Miliana, en souvenir éternel de l’enfant des Anassers, qui deviendra plus tard Ali la Pointe, la grande esplanade qui domine la plaine du Cheliff est auréolée de son nom et sa statue, un établissement de formation de Miliana porte le nom de ce glorieux chahid: Ali Amar.
Plus qu’un mythe, plus qu’un héros, il a toujours représenté, notamment pour ma génération de Miliana, un symbole fort. Il est la fierté des Milianais et de toute l’Algérie. Avec courage, bravoure et vaillance, au sein du FLN et de la Zone autonome d’Alger, tout jeune, il a affronté les forces coloniales au coeur du pays, dans tous les quartiers d’Alger et particulièrement à la Casbah.
Ce 14 Mai 2011 il aurait eu 81 ans. Fils d’Ahmed Ben Abdelkader et de Takarli Fatma Bent Ahmed, il est né le 14 mai 1930 à El Anasser, beau quartier tout en verdure, en contrebas de la ville de Miliana, habité diversement par les familles modestes ou de la classe moyenne. Il est le dernier-né de sa famille. Il eut une enfance difficile. Il travailla très jeune, dans les fermes des colons et a subi alors, de manière brutale, la domination et l’exploitation. Son père paysan sans terre, était déjà dans les rangs du Parti populaire algérien, il travaillait comme métayer dans les fermes. Le premier guide de sa vie a été ce père, qui parlait avec ferveur à ses enfants du nationalisme. La condition sociale précaire de sa famille a aiguisé l’esprit d’abnégation et d’autonomie chez Ali. La colonisation a réduit à l’époque le peuple algérien à la misère, 95% était analphabètes et 75% vivaient dans les régions rurales les plus pauvres; alors qu’avant 1830, 40% d’entre eux savaient lire et écrire l’arabe et la relative prospérité partagée était une réalité.
La dépossession des terres, l’exploitation raciste, capitaliste et la violence coloniale étaient à leur comble depuis plus d’un siècle, mais la politique de tentative de dépersonnalisation des Algériens avait pourtant échoué. Ali la Pointe, comme nombre de ses concitoyens, avait très tôt une conscience claire de son identité et constatait par bon sens que le peuple algérien était déchu de ses droits et de sa liberté.

L’héroïsme
Dès son adolescence, il se rendit à Alger, à la recherche d’un travail et s’ouvrir d’autres perspectives. Il adhéra au Club Sportif d’Alger à Bab El Oued, où il pratiqua la boxe, tout en suivant une formation en maçonnerie. Il avait un sens aigu de la dignité et de la fierté. De par son charisme, il fréquentait des Algériens souvent plus âgés que lui. Il fit la connaissance de nationalistes qui lui inculquèrent l’idée de la Révolution.
Au cours d’une période passée en prison, il réalisa encore plus le sens du mot liberté et celui du sacrifice. Il adhéra immédiatement, avec force et conviction profonde à la lutte de libération au sein du groupe de combattants de la capitale et participa à de nombreuses attaques menées contre les forces coloniales.
Il constitua avec d’autres héros, comme Hassiba Ben Bouali et Taleb Abderrahmane, un groupe de résistance armée efficace et redoutable. Ils réussirent toutes leurs actions au coeur du dispositif colonial. Ali était connu pour son caractère fier et rebelle. Très tôt, il a fallu qu’il se démène pour survivre dans des conditions difficiles, aggravées par la misère qui était le lot quotidien des Algériens.
Adolescent, il vit les atrocités qu’enduraient ses compatriotes. A 25 ans, militant du FLN dès 1955, il effectua des missions périlleuses qu’il réussit brillamment. Jusque-là jeune, rebelle, humain et généreux, illettré, mais doué d’une grande intelligence, soucieux dans l’action de discipline révolutionnaire, il va devenir un chef local de la guérilla urbaine respecté. Son courage, sa témérité, sa fidélité, sa conviction de la justesse de la lutte qu’il menait, lui permirent de réussir des actions spectaculaires, qu’il accomplissait en plein jour, de par son sang-froid exceptionnel.
Durant ces années de combat, il mena la lutte anticoloniale avec un haut sens de l’héroïsme. Il fut un des combattants qui permirent à la Casbah d’être habitée par la Révolution, totalement acquise à la cause nationale. Il connaissait cet espace clé et sa population de fond en comble, atout décisif pour la résistance.
Le 8 octobre 1957, au coeur de la Casbah, Ali le héros national, tombe au champ d’honneur en compagnie de Hassiba Ben Bouali, de Yacef Omar, dit Petit Omar, âgé de douze ans et de plusieurs autres Algériens, martyrs. Il était dans une cache d’un immeuble de la Casbah. Les forces coloniales le sommèrent de sortir. Avec la force de la dignité et du sacrifice, il refusa. Ils mirent une charge d’explosifs pour faire sauter les lieux. La déflagration criminelle fit tout effondrer. Ce grand héros de la révolution s’était distingué par sa bravoure sans faille dans la lutte qu’il a menée, aux côtés d’autres nombreux héros, dans la bataille d’Alger, pour libérer la patrie de l’oppression coloniale. Comme ses frères et soeurs de combat, martyrs, sa figure inoubliable, martyr à 27 ans, dans le coeur des Algériens, est toujours vivante. L’Algérien doit toujours se rappeler les martyrs, s’incliner en leur mémoire, éveiller les consciences à la vigilance, à l’unité et à la formation d’une Nation apaisée, traversée par le souffle de l’être commun.
Sachant qu’il n’y a pas d’acquis définitifs de la liberté, les nouvelles générations doivent se ressourcer sans cesse en gardant une mémoire vivante de notre histoire et de ses héros. L’ordre mondial injuste, le néocolonialisme, l’impérialisme, les ingérences, la propagande du choc des civilisations, l’islamophobie, les inégalités inadmissibles instituées entre les peuples du monde, la politique du deux poids, deux mesures et les défis techniques et scientifiques requièrent de chaque citoyen, notamment les jeunes, de s’armer de patriotisme et de connaissance, afin d’être à la hauteur des exigences de notre temps. C’est une responsabilité collective. Actualiser et enraciner en profondeur dans le coeur de chacun le Message de Novembre et de ses héros, est une tâche salutaire.

(*) Professeur des Universités

Mustapha CHÉRIF

LA CRISE MONDIALE EST MULTIFORME

LA CRISE MONDIALE EST MULTIFORME
Le XXIe siècle sera juste ou ne sera pas


Tous les peuples aspirent à la liberté et à la justice. A des degrés divers, ils sont désorientés, confrontés à des défis sans précédent. Tous les problèmes se posent en même temps: moraux, politiques, économiques et culturels. L’ordre mondial est injuste. La donnée la plus précieuse pour une société est l’Etat de droit; la plus néfaste est celle de l’injustice. Dans quel monde vont vivre les nouvelles générations? L’idée même de monde et ses développements modernes en mondialisation et occidentalisation, pose problème. Comment bâtir l’Etat de droit, préserver l’identité et la souveraineté? Quelle est notre vision du monde? Y a-t-il encore un monde, si un monde signifie vivre ensemble? La mondialisation donne la possibilité d’intenses contacts virtuels et en même temps elle isole, nivelle, contredit nos valeurs propres, nous empêche de rechercher de manière commune le juste.

Mondialisation inégalitaire
Est-on dans le monde pour subir simplement chaque instant, ou bien devons nous préparer et décider de l’avenir, en sachant que rien n’est donné d’avance? Sommes-nous encore maître du devenir, ou en train de perdre de vue ce qui peut se réaliser, de projeter des représentations, sans prise sur le réel? Depuis l’ère industrielle, qui a pris son essor décisif au XIXe siècle, la mondialisation s’est développée comme un processus multidimensionnel. Elle a une histoire à plusieurs facettes. Celle-ci commence avec l’avènement de la technique qui, en se déchaînant, a multiplié les possibilités de liaisons entre les êtres humains, avec le monde, dans le monde; mais elle s’est accompagnée de l’exacerbation des rapports de force et de domination d’un côté, de l’exploitation à grande échelle des ressources de la planète, de l’autre.
Il s’agit aussi de savoir, d’une part, comment comprendre le phénomène indépassable de la technique qui modifie nos conditions d’existence et notre rapport au monde et, d’autre part, comment nous pouvons assumer cette incontournable métamorphose d’une manière libre, responsable et cohérente. Les puissants de ce monde tentent d’imposer leurs points de vue et d’exploiter les richesses des autres peuples. La mondialisation est une «occidentalisation».
C’est un risque qui contredit l’identité et la souveraineté. Il est à l’oeuvre dans tous les domaines; il produit un non-monde accablé de dureté, une situation de «marche ou crève». La pseudo-mondialisation ne se limite pas aux aspects techniques, scientifiques, économiques. Elle concerne les valeurs culturelles et éthiques. Qui pourrait s’opposer à la mondialisation des pratiques démocratiques, d’instruments de progrès tels que la recherche scientifique et la production libre des richesses en partage? Cependant, la dépersonnalisation guette.
Il faut analyser les mécanismes par lesquels les bouleversements suscités par la mondialisation à sens unique et inégalitaire, les problèmes qu’elle pose et les risques qu’elle induit peuvent, pour l’humanité en général et pour le monde musulman en particulier, fermer tous les horizons. Il faut se demander comment, dans ces conditions, garantir ou faciliter l’accès aux progrès en tenant compte des valeurs spécifiques comme celles de l’évolution générale. En somme, chercher quelles sont les conditions de préservation de nos principes, la validité de l’universel de nos projets et celles de la cohérence entre spécificité et unité. Pour les musulmans, les critères d’évolution sont ceux de la justice et du sens, mais ils sont aujourd’hui vaguement exprimés.
Il faut donner la priorité à la production du savoir, pour nous préparer à affronter ces questions dans le contexte de la mondialisation injuste, du point de vue de la pensée, car c’est un travail de longue haleine qui a ses conditions particulières et du point de vue de l’économie politique, vu la domination d’un seul modèle en crise, celui du Marché. Cela requiert donc de l’inventivité, du travail de l’humilité et de la prudence, mais aussi de l’audace. Avant même que les interférences des idéologies et des pratiques politiques iniques, telles que le néocolonialisme, le capitalisme et l’impérialisme, ne récupèrent à leur profit le mouvement, compliquant ainsi la situation, l’essence même de la technique, en tant qu’elle est liée au développement de la mondialisation, pose problème quant au sens de la vie.

Le défi du changement
Le changement est inéluctable, en assumant la science et le monde moderne. Le monde musulman est confronté au défi du changement, des métamorphoses, des transformations. Il est même concerné deux fois, puisqu’il est porteur d’une autre vision du rapport au monde, d’une autre pratique de vouloir le monde, au moment où «le monde» tel qu’il était vécu semble disparaître derrière le Marché-monde. Les réactions irrationnelles, les mises en oeuvre de la religion comme refuge et la faiblesse des pratiques démocratiques aggravent les handicaps historiques des musulmans. Il faut changer cela. Il est possible de dépasser les archaïsmes, par une alternative réfléchie, qui remédie aux insuffisances et participe de nouveau à une autre compréhension des progrès et de la pensée critique. Il s’agit de se ressourcer dans nos valeurs propres, tirer les leçons des expériences des autres cultures, en s’appuyant sur la science moderne, pour se projeter dans l’avenir.
La mondialisation-occidentalisation transforme les conditions de l’évolution des sociétés, son rythme, sa dimension, son niveau. Avec elle, on passe d’un rythme lent à la vitesse, de la dimension humaine au gigantisme, du niveau particulier au niveau global. C’est, en effet, sur cette triple base de la vitesse, du gigantisme et du global, symbole de la recherche scientifique sans bornes ni limites, qu’est fondée la mondialisation. Cela détermine son caractère irréversible et problématique. Elle n’est pas une simple phase, un simple cycle de l’histoire. Quelles que soient les crises et les dérives qu’elle engendre, elle est une course exponentielle irréversible. Nul ne peut arrêter le mouvement du «progrès». Reste à sauvegarder l’identité de manière créative.
L’essence de la modernité et, partant, de la mondialisation, semble se fonder sur un système d’idéalité déterminé par trois facteurs. Premièrement, le concept d’infinité de la recherche, auquel nul ne peut s’opposer, alors qu’il est légitime de chercher à poser des limites au déchaînement de toutes les puissances, exploitations et dominations. Plus que jamais, s’offre la maxime «Science sans conscience n’est que ruine de l’âme». Deuxièmement, le monde moderne est caractérisé par l’individualité.
L’Occident, dit-on, est moderne parce qu’il a atteint un niveau élevé de sophistication dans sa recherche d’un individu égal, libre et autodéterminé. Beaucoup voient dans cette manière de mettre l’individu au centre la marque propre de l’Occident, et qu’il montre ainsi au monde la prétendue seule voie possible de l’émancipation, la seule manière de se libérer des liens, des subjectivités, des mythes et des utopies collectives.
Il apparaît pourtant de plus en plus que l’enjeu n’est pas seulement l’autonomie de l’individu, l’individualisme, mais aussi la dimension du vivre-ensemble. Les notions de peuple et de communauté sont centrales dans notre culture et histoire. La troisième dimension qui caractérise le monde moderne est la disjonction, la séparation, l’opposition entre la logique et le sens, le temporel et le spirituel, le spécifique et l’universel. Avant même leur récupération ou leur exploitation par le libéralisme, avant leur liaison avec la technique au profit d’un projet qu’on peut définir par marché-monde, ces trois caractéristiques – l’infinité de la recherche, l’individualisme et la séparation entre éthique et économie- posent problème pour tous les peuples. Cela ne signifie nullement qu’il y ait incompatibilité entre les mondes, comme entre Islam et Occident. Les élites doivent oeuvrer non pas à l’instauration de la confrontation et de la rupture entre les mondes, mais à l’élaboration de consensus.
Il s’agit de vivre et de penser ensemble la fin d’un monde et le commencement improbable d’un autre en ce XXIe siècle, qui apparaît pour le moment terriblement différent, car sans figure repérable, si ce n’est dans les formes si peu naturelles et si peu humaines de la mondialisation sans éthique, hégémonique et marchande. Il faut nous entendre sur l’essentiel. Mais qu’est-ce que l’essentiel? Il y a lieu de répondre: le juste, admis par la raison raisonnable, le dénominateur commun. Le droit et la justice doivent gouverner les relations internationales et non l’iniquité et l’injustice.

Changer le rapport de force
Pour changer le rapport de force, il est vital de donner la priorité à la raison, au savoir et à la prévision, en tenant compte des aspirations des populations. Sans un processus de légitimité, une société restera handicapée. S’appuyer sur le citoyen est la voie. L’acte de la concertation et du dialoguer a pour but de rester lucide et vigilant, de ne pas se leurrer. Le but est de vivre dans le monde en tant qu’êtres humains responsables, vigilants et équitables, vivre un monde juste, qui ait du sens. D’autant que la loi du plus fort et l’arrogance dominent. Comment retrouver des valeurs de justice et d’éthique dans un monde désormais sans but, marqué par l’accumulation de richesses au profit de quelques-uns?
«Le règne de la quantité», disait René Guenon, règne qui ne supporte ni mystère, ni sens, incapable de tenir la tension absence-présence du monde, que nous avons pourtant pour tâche de ne pas perdre de vue. Les métamorphoses opérées par la mondialisation de la techno-science et du libéralisme sauvage n’ont pas réduit à zéro la possibilité de vivre le monde autrement que l’impose le libéralisme sauvage. Il s’agit de rester fidèle à un sens au-delà du monde, fidèle à l’idée d’éthique, de moral et d’ouverture. Cela est possible de par le rapport vivant, direct et responsable entre l’être humain et sa conscience.
La mondialisation-occidentalisation, celle de la marchandisation, ferme l’horizon. La réaction extrémiste, idéologique, et violente à la dérive de la modernité ferme l’horizon. Chacun doit résister à ces deux dérives pour vivre autrement le monde, le progrès et l’humanité. L’Occident classique a été judéo-islamo-chrétien. Les ruptures entre ces mondes méritent d’être méditées. Traduite en termes d’absence d’ouverture, en esprit antireligieux, la question de la prédation ou désarticulation apparaît comme un point de discorde.Si les musulmans n’ont pas su continuer à assumer la logique de la civilisation raisonnable, fondée sur le lien entre la raison et la foi, il est encore possible de corriger cette carence.
Le dialogue des cultures est au coeur de la problématique. L’Occident ne peut longtemps continuer à imposer ses seules vues. Le XXIe siècle sera juste ou ne sera pas. Il s’agit de réinventer une nouvelle civilisation, qui fait défaut, un nouvel équilibre, une culture de la pluralité, de la communauté médiane, de la responsabilité face au monde, sans se laisser aveugler. Il n’y a pas qu’une seule version de la modernité, du progrès et de la mondialité. Les peuples du Sud peuvent réinventer leur propre chemin et bâtir des ponts avec le reste du monde. Le mouvement se prouve en marchant.

(*) Professeur des Universités

Mustapha CHÉRIF (*)