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Méditerranée, Éducation et Culture

 

Méditerranée, Éducation et Culture

Guerre ou paix ?

Par : Mustapha Cherif*

Notre monde vit une crise multidimensionnelle. Premièrement : morale et politique, deuxièmement : économique et troisièmement des ressources. Une époque marquée par l’incertitude. Sur le plan régional, c’est l’affaiblissement de la culture commune méditerranéenne, voire sa remise en cause alors qu’elle était caractérisée par la symbiose, l’interaction et la diversité. Au Sud, les promesses de l’indépendance n’ont pas été toutes réalisées, l’incontournable Union du Maghreb est en panne et les jeunes sont dans l’attente de dynamiques de changements fondées sur les critères de compétence, d’intégrité et d’engagement. Au Nord, le progrès matériel et les acquis dus à la technoscience ne peuvent occulter les impasses.

Dans le respect de la souveraineté et le sens de la réciprocité, comme l’a toujours pratiqué l’Algérie, le dialogue multiforme autour de la Méditerranée peut ouvrir de nouveaux horizons. C’est la mondialité qui commande.

Les défis communs


Les cultures méditerranéennes étaient nourries par les valeurs abrahamiques et gréco-arabes. Face à la complexité de la crise, aux défis communs qui nous lient, l’accent mérite d’être mis sur le besoin de rebâtir un espace commun. Il y a une prise de conscience que l’avenir du monde se joue en Méditerranée, de par les enjeux, les symboles et l’histoire. On peut même dire aujourd’hui que parfois deux versions de l’humain se confrontent. Deux mondes, l’Islam et l’Occident, pourtant tellement imbriqués et liés, que les extrémistes de tous bords, à tort, veulent diviser, séparer, isoler, opposer, comme s’ils étaient des blocs monolithiques inconciliables. La culture est vecteur de l’échange et de la confrontation des idées et des manières d’envisager l’avenir, elle doit être privilégiée.
Au sujet de l’UPM née en 2008, définie comme “Processus de Barcelone : Union pour la Méditerranée”, il y a consensus pour affirmer, après que l’UE s’est préoccupée prioritairement de l’Europe de l’Est et que la Politique européenne de voisinage apparaît comme une poursuite de l’unilatéralisme, que c’est une rupture, un nouvel acte politique qui repose la centralité de la Méditerranée et vise au redéploiement au partenariat EuroMed sur les fondations du processus de Barcelone au bilan mitigé.

Trois points forts de l’UPM peuvent être mis en avant :
1 – la nouvelle approche est fondée sur le souci de parité, de mutualité et de réciprocité au lieu de l’unilatéralisme ;
2 – proposition de projets concrets de coopération, facultatifs à géométrie variable ;
3 – mise en place d’une Union de projets, avec des financements multiples, sur la base de structures et d’un budget propres avec des politiques spécifiques.
Sur le plan des points faibles, a été souligné le fait que des obstacles majeurs qui ont empêché la réalisation du partenariat EuroMed sont toujours en vigueur. Sur le plan économique et financier, les capacités de financements européens restent très limitées, même si vient de voir le jour Inframed, un fonds d’investissement mixte destiné à financer les projets, qui vise, à terme, à mobiliser 1 milliard d’euros. Sur le plan politique, le non-règlement de la question palestinienne est marqué par l’aggravation de la situation, la poursuite des colonies, la violation du droit international, le blocus des territoires occupés.

De ce fait, l’UPM ne peut être le lieu d’une normalisation prématurée avec Israël qui sabote tous les efforts de paix et agit dans l’impunité, paradoxalement, et est indirectement encouragé à persévérer dans l’iniquité par le traitement préférentiel qu’il lui est accordé par les USA, l’UE et l’OCDE au lieu qu’ils prennent les mesures adéquates. Il ne peut y avoir de paix et de sécurité sans justice. La politique du deux poids, deux mesures a atteint des sommets indécents.
D’autres obstacles existent, liés aux contradictions et insuffisances du Nord et du Sud. Le système dominant international et régional qui vise à asseoir son hégémonie s’érige en citadelle et utilise la diversion de l’invention d’un nouvel ennemi en la figure du musulman, notamment depuis la chute du mur de Berlin en 1989. Il freine la mobilité et la circulation des personnes et fonde sa politique sur la seule base de soucis sécuritaires à sens unique et commerciaux à court terme. Il est contradictoire de vouloir intégrer à l’Europe les économies du Sud de la Méditerranée, tout en restreignant la circulation du Sud vers le Nord.


De plus cette politique met l’accent sur les effets et non les causes des problèmes de notre temps, sur l’idée de centre face à des périphéries, au lieu d’élargir les espaces de prospérité partagée. Les pays de la Rive Nord dans l’intérêt général devraient soutenir avec force les ambitions légitimes de développement et de modernisation des pays de la Rive Sud et ceux-ci ont pour tâche de montrer qu’ils mobilisent à bon escient toutes leurs ressources.


Les contradictions des pays du Sud


Elles sont liées aux difficultés structurelles à améliorer la bonne gouvernance, à s’unir, à mettre en place un partenariat Sud-Sud, à favoriser la concertation et à libérer toutes les énergies humaines dont ils disposent, notamment les jeunes, les femmes et les élites scientifiques intellectuelles et économiques.
L’éducation et la culture ne peuvent qu’être réaffirmées comme les dimensions clés capables de rapprocher les peuples et de faire face aux multiples défis et devenir commun : ceux des guerres de mémoires, des ignorances, de la désinformation, guerres économiques, marginalisation des valeurs morales, spirituelles ou leur instrumentalisation.Authenticité et progrès

 

 


Se pose pour tous une question fondamentale, quelle alternative au recul du droit, au libéralisme sauvage déshumanisant et aux traditions sclérosées ? Comment édifier une nouvelle civilisation humaine, qui fait défaut, fondée sur le sens, la logique et la justice ? Pour nous autres, méditerranéens maghrébins, l’articulation entre l’authenticité et le progrès est vitale afin de ne pas succomber au repli interne ou au contraire à l’uniformisation et à la marchandisation imposée de l’extérieur.
Le besoin d’un agenda Éducation devrait être un axe-clef de la Méditerranée, car malgré le projet de création d’une université EuroMed à Fès, d’un Centre méditerranéen de la recherche scientifique et d’un Office méditerranéen de la jeunesse, de l’existence de la Fondation Anna Lindh et de l’université EuroMed en Slovénie : la visibilité de l’éducation et de la culture dans les relations EuroMed reste faible.


Tout un chacun sait pourtant que renforcer les réseaux, l’échange des expériences et la coopération est la voie pour réduire les déséquilibres, l’asymétrie entre les deux rives de la Méditerranée et de corriger le recul de l’interconnaissance, les comportements d’exclusion de l’autre et la dépendance. Soutenir les éducateurs et les actions des systèmes éducatifs et culturels est une priorité et urgence pour faire reculer toutes les formes de violence, contribuer au développement, à la transmission des savoirs et réaliser la cohérence entre le spécifique et l’universel, entre la démocratisation de l’enseignement et l’excellence.

Une intelligentsia méditerranéenne


Cette problématique concerne l’ensemble des pays confrontés au fait majeur que l’économie de la connaissance est le levier du développement. Dans ce contexte, l’Université est confrontée à une crise, liée au devenir de son statut de service public et ses relations avec les pouvoirs politiques, économiques et idéologiques. Comment conjuguer l’impératif d’assurer l’adéquation formation-emploi, l’évolution des métiers et la fonction de production de valeurs universelles, scientifiques et humanistes ?
D’autant qu’à l’horizon 2030, pour l’économie méditerranéenne, il y a lieu de créer au moins cinquante millions de postes de travail, afin que le chômage ne s’aggrave pas. Un autre monde plus juste, plus humain, moins inégalitaire devrait être notre projet à tous. Cela est possible, dans le cadre du débat, des échanges et des actions communes entre les deux rives en vue de viser la synergie, l’intense coopération interuniversitaire et édifier une intelligentsia méditerranéenne. 

 Malgré les incertitudes, si on tire les leçons de l’histoire commune et que la priorité au Sud soit celle d’améliorer les relations de l’État à la société et au Nord de mettre l’accent sur la dimension de la justice dans les rapports entre les peuples, il restera un avenir pour les héritiers de l’esprit de l’Andalousie.
Réinventer un regard neuf sur soi-même, autrui et le monde, dans une démarche intransigeante, qui implique le droit à la critique et le devoir d’autocritique, est le chemin à entreprendre dans le respect réciproque. Pour tenter de desserrer l’étau dans lequel on veut nous enfermer et construire un destin commun, il n’est pas vain de prendre la parole et d’échanger pour alerter et sensibiliser. On doit régénérer nos capacités à dénoncer les dérives et à énoncer des alternatives. Les relations internationales, les enjeux de Guerre ou Paix, dépendent aussi de l’engagement de la société civile.

Ce texte est la conférence prononcée par Mustapha Chérif, lors du Colloque international de Fès, les 3 et 4 juin 2010, sur “Méditerranée, éducation et culture”.

 

Choc ou alliances des civilisations ? La culture au coeur de la Méditerranée

Colloque International de Nice

IRIS

Choc ou alliances des civilisations ?

Par Mustapha Cherif

 

Dialogue des civilisations, ces mots sont tellement usés que leur usage est suspect. Dans un contexte où le cynisme, la cruauté, l’arrogance et le double langage sont banalisées, ne servent-ils pas d’enseignes à l’entreprise de justification de l’hégémonie, dont la loi est celle de la concentration croissante des richesses et des instruments de décision, même si d’autres pôles sont en cours d’émergence ? Celui qui se déclare algérien, maghrébin, arabo-berbère, méditerranéen, héritier de l’esprit de l’Andalousie, connaît la valeur réelle de ces mots.  Alors que les deux mondes, Occident –Orient, sont mêlés et imbriqués, et la distinction entre eux n’a pas vraiment lieu d’être, des propagandistes cherchent à les opposer et à imposer l’amnésie afin de faire diversion aux injustices et souffrances.

 

Durant des siècles se sont mêlés des peuples d’Orient et d’Occident. Dialoguer est une pratique ancienne et sage. Ce monde est bien le notre, celui de tous. Cependant, trois causes au moins nourrissent la logique de la confrontation : 1- L’ignorance de partout 2- Les injustices de partout et 3-la stratégie d’hégémonie. Cela suscite un regain de la xénophobie, d’une part  et du fanatisme d’autre part. Il y a urgence à dialoguer, pour désenclaver les cultures, car les identités repliées et cloisonnées sont la manifestation du problème. La sortie de crise morale passe par le dialogue. On ne dialogue pas pour dicter sa loi. Un dialogue n’est pas seulement un face-à-face avec autrui, il est avec soi-même acceptant d’être transformé. On a besoin les uns des autres, nul ne peut faire face seul aux défis complexes et multiples de notre temps, les enjeux sont le même pour tous, à commencer par celui du risque de deshumanisation, quelque soit la différence entre faibles et puissants.

 

Le Choc : une diversion

 

Les écrits depuis 1993 sur la stratégie du « clash des civilisations» entre le monde musulman et l’Occident, bien avant les attentats du 11 septembre, sont l’expression de l’invention d’un nouvel ennemi après la chute du mur de Berlin en 1989. L’islamophobie est une diversion antérieure au terrorisme des faibles. Le concept de « civilisation » réduit les tensions à des questions culturelles. Malgré des siècles de rapports féconds, l’islamophobie au Nord et les courants du repli au Sud présentent des tableaux tronqués,  ils nient les liens entre le « Grec » et « l’Arabe », entre le « Juif » et l’Arabe », entre le « Latin » et « l’Arabe ». Des jugements de valeur, qui refusent la diversité et opposent des blocs imaginaires : Jésus et Mohammed, l’Orient et l’Occident, l’islam et le christianisme, le barbare et le civilisé.

 

L’Occident a été judéo-islamo-chrétien et gréco-arabe. Le monothéisme, l’humanisme et la Méditerranée sont nos sources communes, combinées, entremêlées et recomposées. Il n’y a pas d’hostilité entre les civilisations, mais des courants tentent de cibler autrui différent comme ennemi, afin que les pulsions de violence qui sommeillent en chacun exacerbées par les misères économiques, psychiques, culturelles, les injustices, les inégalités et  l’oppression, se déversent dans une autre direction que celle des systèmes en place. C’est la politique du bouc émissaire, de la culture de la peur, qui désigne l’autre comme une menace. Il ne peut y avoir d’entente, d’échange et de partage si d’entrée de jeu on appréhende l’autre comme un ennemi potentiel. Dans ce contexte les courants xénophobes dénient à l’autre civilisation les points de convergences, la part qu’elle à prise à l’œuvre de l’humanité et refusent de lui reconnaitre son droit à vivre ses multiples appartenances.

 

L’on ne pourra pas comprendre l’humanisme, « qu’est ce l’homme ? », sans dialoguer avec les autres civilisations. « L’humanisme ne pense pas assez haut l’humanitas de l’homme », reconnait la philosophie moderne. La civilisation de l’humanisme n’est pas visible, c’est parfois même le contraire qui transparait. Il ne s’agit pas de faire retour au religieux comme solution, mais de réactiver l’humanisme, car 1- l’autrui contribue à faire connaître ce que veut dire être « humain » 2- s’ouvrir à des normes communes a peu à voir avec les dangers que les approches fermées font courir à la liberté et à la dignité des hommes  3- vivre ensemble est incontournable. Les défis communs appellent à faire entendre la voix de cultures dignes de leurs hautes traditions, non pas « modérées » – qualificatif faible- mais celles de l’interprétation, de l’ouverture, de la hauteur de pensée, ce qui n’exclut pas la vigilance, la critique et l’autocritique. Retrouver des normes universelles qui  organisent la vie en commun sans avoir à nier autrui est une des tâches essentielles de notre temps.

 

Des politiques et des média imposent au Nord un discours négatif sur autrui différent, au Sud sur l’Occident. Edifier des passerelles est vital. La centralité de la Méditerranée ne peut être niée, en conséquence on ne peut se limiter à des projets techniques. Sans les dimensions humaines et culturelles, le partenariat sera amputé de l’essentiel. Nous aurions espéré que l’UPM  par exemple, soit celle d’un partenariat entre l’Union européenne et le monde Arabe. La visibilité aurait été grande. Il n’y aurait eu aucune appréhension, ni celle d’une normalisation prématurée avec Israël, ni celle qui dévie l’adhésion de la Turquie à l’UE. Les concepts de monde arabe et de Maghreb  qui renvoient à des dimensions géoculturelles doivent êtres gardés en vue, la Méditerranée n’est pas le lieu de la dilution.

La culture religieuse au cœur du débat

Sur le plan de l’histoire culturelle, l’Occident s’est forgé en opposition à ses altérités, dans un mouvement de rupture et d’appropriation de la raison, de la démocratie et de la sécularisation. Ces concepts méritent d’être réinterrogés, car contrairement aux préjugés, ils ne sont pas étrangers à d’autres cultures comme celles de l’islam. Dans ce contexte, alors que tous les Européens ne confondent pas islam et fanatisme, l’inconscient collectif considère le « musulman » comme l’étranger qui résiste au système de valeurs modernes. Que les musulmans fassent lever des questions est légitime. Nous devons accepter les critiques au sujet de conduites problématiques, mais pas les amalgames et les jugements hâtifs.  Il est vital de reconnaitre à l’autre le droit de garder vivante sa culture, sans se couper du monde.

 

Les Lumières de la raison, instrumentalisée n’ont pas éclairé la totalité de l’être humain, alors que des questions culturelles comme « comment apprendre à vivre ?», « qu’est-ce que l’homme ? », « quel sens donner à la vie ? » se posent, on nous refuse le droit à la critique. Les Européens s’interrogent sur l’état du monde musulman : les débats sur la réforme, le pluralisme, la bonne gouvernance? Ce n’est pas islamophobe de poser ces questions. Mais, à l’opposé de ce que des non-musulmans peuvent penser il existe une islamophobie où c’est le musulman, comme le Juif hier, qui est condamné. Hantée par la religion, l’Europe est traversée par deux mouvements, l’effort pour faciliter le partenariat et une tournure crispée envers les musulmans.

 

Il n’est pas exact que tout l’Occident assimile « musulman » et « fanatique », mais des propagandistes pour masquer leurs impasses parlent de choc et font croire que l’Islam est source de violence. Ces propagandistes « fabriquent » de la terreur et des « extrémistes » et les manipulent pour faire peur et justifier l’occupation et l’hégémonie. Injustices, présence de soldats étrangers, politique des deux poids et deux mesures contredisent, comme en Palestine, les nobles principes prônés par la rive Nord. Dans ce contexte, se pose une question pour faire reculer la logique de la confrontation : Jusqu’à quand vont durer les injustices et les agressions qui produisent désespoirs, extrémismes et culture de la colère au Sud et culture de la peur au Nord? Il est urgent de penser ensemble les causes.

 

L’opinion finit par ne plus voir que la violence de l’autre, dont elle ne saisit pas les raisons. Certes, le monde entier constate à quels extrémismes peut conduire la dérive fanatique de certains « adeptes » d’une grande religion comme l’islam et constate l’injustifiable pérennité des despotismes. L’usurpation du nom de l’islam est injustifiable, et « Le musulman est parfois une manifestation contre sa religion » comme l’affirmait, il y a un siècle, l’Emir Abdelkader El Djazairi. Mais comme le souligne Hannah Arendt, c’est souvent le résultat de provocations et d’injustices : « Dans les régimes totalitaires, la provocation… devient une façon de se comporter avec son voisin » Même si les préjugés datent de 15 siècles,  l’islamophobie depuis la fin de la guerre froide, exploite et amplifie les faiblesses du monde musulman et les réactions aveugles des groupuscules.

 
 La stratégie du choc des civilisations pratique la désinformation et impose l’idée que résister aux occupations  est un acte de violence inadmissible. Le droit à la résistance réside pourtant dans les conditions qui autorisent –ou interdisent- son recours. En Islam, comme l’exprime St Augustin pour la notion de guerre juste, la question de la résistance ne peut être pensée en dehors du contexte. Ainsi, le recours à la « violence » comme contre-violence, dernier recours imposé, ne peut intervenir que si la paix, la survie, la dignité sont compromises. L’Humanisation des rapports humains a été possible grâce à l’interculturel. Le méditerranéen n’a pas découvert le sens du partage le plus large c'est-à-dire celui de la communauté humaine seulement au XVIIIe siècle qui reste un moment phare de l’émancipation. La logique du conflit est aujourd’hui exacerbée à la fois par la représentation non seulement areligieuse mais anti religieuse du monde moderne et par l’instrumentalisation de la religion par des forces rétrogrades de la tradition. 

 

Droit à la critique

 

Nous avons abouti à une situation ambivalente, malgré les acquis de la sécularisation, le développement du savoir détaché des sources religieuses, comme l’a été le savoir arabe, l’émancipation en Europe vis-à-vis de l’autorité religieuse et une séparation logique de la sphère du public et du privé, on a aboutit aussi à la marginalisation des principes abrahamiques et à une remise en cause de la possibilité de la justice et du vivre ensemble. Le risque est celui d’une neutralisation des deux dimensions de l’homme : le politique (la démocratie) et le religieux (une éthique). Après les mots d’ordre totalitaires « tout est politique » ou « tout est religieux », on impose « rien n’est politique, rien n’est religieux », pour laisser place au nihilisme et au nouveau mot d’ordre : tout est marchandise. Cette vision impose une seule culture, une seule conception du progrès et des relations entre les peuples, résultat le dialogue de sourds est désastreux : Les relations internationales ne sont pas démocratiques, les despotismes perdurent et la désorientation s’étend. Pratiquer l’autocritique afin de dépasser ses propres points d’aveuglements au sujet des dérives de sa tradition et celles du désordre mondial est un devoir.


Sur le plan de la culture, le citoyen moderne n’a plus de lien avec la religion ou le sacré. Ce n’est pas la fin du monde, mais c’est la fin d’un monde. Et il nous faut le comprendre pour inventer un autre qui échappe à toute fermeture. Sur le plan du savoir, l’aspect inquiétant est la remise en cause de la possibilité de penser autrement. Deux récits paradoxaux de la culture moderne affirment que la culture religieuse doit servir à consoler sans se mêler du monde, ou bien est aliénation. Faute d’échanges culturels continus et conséquents la recherche commune du juste, du beau et du vrai autour de la Méditerranée est hypothéquée. Les impasses se mondialisent, aggravées par la politique des deux poids et deux mesures, ce qui rend urgent le besoin d’une civilisation du vivre ensemble.

 

Finalité du dialogue

 

Le dialogue des cultures a trois buts : l’interconnaissance, une parole commune et la justice, c’est ce qui nous manque le plus. Ce que la rive Nord doit comprendre : l’extrémisme est l’anti-islam et le musulman a participé et le peut encore, à la recherche de la civilisation. Ce que la rive Sud doit comprendre : son ouverture sur la plus grande des communautés celle de l’humanité, où se conjuguait unité et pluralité, avait permis le vivre ensemble autour de la Méditerranée. Il reste un avenir si les discours dominants mettent fin à la politique de l’épouvantail et au déni de ce que nous avons en commun, s’ils arrêtent d’imposer de manière régressive une vision monolithique de leur propre culture et celle des autres et s’il est mis fin à l’instrumentalisation de la religion.

 

Les mesures concrètes en découleront pour éduquer, informer et vivre ensemble comme une chance partagée. Mon pays l’Algérie carrefour des cultures et terre d’hospitalité, par-delà son histoire douloureuse et ses souffrances, ou à cause de cela, assume sa méditérranéité et reste attachée au dialogue des cultures en vue de forger une nouvelle civilisation universelle. Tout en étant conscient des pesanteurs, de  l’asymétrie des forces et des déséquilibres, mais sachant que nul n’a le monopole de la vérité et que la justice envers autrui est au cœur de toute dynamique porteuse d’avenir, l’homme de bonne volonté ne peut que choisir l’amitié dans la franchise.


Mustapha Cherif

1- Lettres aux français édits Anep 
2- Le Système totalitaire, Edition Essais-Points

 

L’avenir des musulmans en Occident

L’avenir des musulmans en Occident


Mustapha Cherif

Mardi 20 avril 2010

Les xénophobes et les islamophobes dénient à autrui différent le droit de vivre selon ses convictions et ses multiples appartenances. Vous avez le droit de vivre selon votre foi, de prier ensemble, de préserver le licite, de vous garder de tout ce qui porte atteinte aux nobles valeurs de la religion, de refuser des comportements dégradants contraires aux préceptes islamiques et de garder vivante votre mémoire, tout en vous ouvrant sur le monde. Ce n’est facile, mais il est vital de savoir résister et se prémunir. L’extrémiste s’enferme et ne sait pas faire face aux dérives de notre temps. Vous êtes confrontés à des difficiles épreuves. Une question se pose : quelle responsabilité des citoyens occidentaux de confession musulmane face aux défis de notre temps ?

Compte tenu du fait qu’il est attendu des musulmans esprit d’interprétation, d’inventivité et de renouveau, je suis dubitatif et interrogatif au vu de comportements de certains, heureusement minoritaires, qui, par leur repli, nuisent à ce qu’ils voudraient défendre, compliquent la situation des citoyens musulmans en Occident déjà difficile et folklorisent la pratique religieuse. Leurs excès passent à tort pour dictés par le Coran. Ils le font sans doute par naïveté, par ignorance, par inculture, par désespoir, ou parce qu’ils sont manipulés. Il faut qu’ils sachent que lorsqu’ils se replient et pratiquent le rigorisme ils provoquent les incompréhensions et alimentent la peur d’autrui. Il ne faut pas les laisser aggraver leur dissidence morale. En se comportant ainsi, ils prêtent le flanc à la critique et apportent de l’eau au moulin des islamophobes et des xénophobes. Ces comportements et dérives  il faut le dire à haute voix et sereinement, car on nous reproche de ne pas assez les dénoncer sont l’anti-islam et portent préjudice à l’image des musulmans.

Le difficile contexte

Que faire pour ne pas seulement affirmer le désaccord de la majorité des musulmans à ces pratiques, mais surtout permettre au citoyen occidental de confession musulmane de vivre sa foi comme lui garantit la loi et d’être inventif et reconnu ? Il y a lieu de commencer à comprendre le contexte complexe et la problématique et d’en saisir les enjeux. L’islamophobie est ancienne, elle date de quatorze siècles, depuis l’avènement de la troisième religion céleste. Cependant, en ce début du XXIe siècle, elle prend des proportions alarmantes. Le monde actuel est confronté à trois défis :

Premièrement, la désertion de la religion de la vie, marquée par une marginalisation des principes moraux, éthiques et spirituels. Deuxièmement, le recul de la démocratie, marqué par l’injustice, les inégalités et le libéralisme sauvage. Troisièmement, la remise en cause de la possibilité de penser, inhibée par la domination de la pensée unique. Ce sont les trois questions fondamentales qui se posent avec acuité : du sens, de la justice et du savoir. L’ère moderne, malgré de prodigieux acquis techniques, s’éprouve en impasse et deshumanisation et comme politique on assiste à de la répression. Tous les peuples souffrent de cette situation et sont confrontés aux incertitudes. Le problème est faussé et se complique encore par les réactions émotionnelles, irraisonnées et aveugles face à ces défis.

Les résistances irréfléchies et extrémistes libèrent des comportements et des pulsions qui sont inadmissibles, même si on doit tenir compte des injustices, des ségrégations et des politiques iniques à deux poids et deux mesures. Les comportements fermés sont amplifiés, manipulés et instrumentalisés par ceux qui ont de sordides intérêts à ghettoïser, à déformer l’image de l’islam et faire diversion aux réels problèmes, dont la prise de conscience par l’ensemble des citoyens mettrait leurs intérêts étroits en péril alors qu’ils cherchent à asseoir leur hégémonie.

Ainsi, depuis la chute du Mur de Berlin, en 1989, puis après le 11-Septembre 2001, les amalgames, la stigmatisation et la propagande du choc des civilisations occupent le terrain, masquant opportunément les injustices et les responsabilités. Cependant, tous les occidentaux, vos concitoyens, ne confondent pas fanatisme et islam, et savent que les civilisations sont hétérogènes et par définition perméables, malgré les contre vérités, les préjugés et le matraquage médiatico-politicien, qui ne sont plus l’apanage du délire des sinistres adeptes de l’extrême droite.

Il faut comprendre que les réactions aveugles, les comportements rigoristes, rétrogrades et passéistes soulèvent chez les citoyens des interrogations légitimes et des critiques fondées, alors que la cause des exclus, des opprimés ou tout simplement de ceux qui veulent vivre selon leur foi est juste. Dans ce contexte de dialogue de sourds et d’incompréhension, vous, citoyens occidentaux de confession musulmane, ambassadeurs d’une si belle religion et témoins porteurs d’un haut sens de l’humain, avez à engager votre responsabilité individuelle et collective. Vous pouvez contribuer à mettre fin aux faux dilemmes, aux faux débats et aux impasses, dans lesquels, d’un côté, des imposteurs qui usurpent le nom de l’islam, de l’autre, des xénophobes qui contredisent les valeurs des Lumières cherchent à vous entraîner.

Réciprocité

Pour la plupart d’entre vous nés en Occident, citoyens occidentaux, vous devez avec fierté assumer positivement et pleinement votre destin, qui est une chance et les valeurs qui se rattachent au pays des « droits de l’homme », pour justement œuvrer de manière intelligente à faire valoir vos droits parfois bafoués et faire comprendre à ceux qui n’ont pas encore compris que vous n’êtes pas des étranges étrangers, mais des citoyens à part entière, et que cela n’exclut pas la pluralité des appartenances, des approches et le droit à la mémoire.

Non seulement il faut arrêter de vous enfermer dans une position de victimes, vous devez certes être fiers de votre foi, mais il faut cesser d’opposer passé et présent, origine et devenir, dès lors que tant de dimensions et d’enjeux communs vous lient à vos concitoyens. Tout en sachant que vous avez le droit de faire vivre et de préserver votre singularité. La chance et l’épreuve sont mutuelles : votre occidentalité est une chance et une épreuve et votre islamité est une chance et une épreuve pour tous, c’est l’occasion d’un enrichissement réciproque.

Votre « Je » peut se conjuguer avec le « Nous » de la société. De surcroît, nul n’est monolithique et imperméable si on sait l’aborder sans le heurter et plus encore le vivre ensemble civilisé se fonde sur le lien entre les deux dimensions et non pas leur opposition. Vous avez le droit de rester attachés à vos valeurs spécifiques, mais en même temps vous avez le devoir de vous ouvrir pour être en phase avec l’humanité et vos concitoyens.

Tout en sachant que ce « Nous » de la société ne semble pas offrir des chances égales et des perspectives justes, mais il n’y a pas d’alternative au sens de l’ouverture pour faire avancer votre cause. Dans ce sens, trois chemins sont les conditions pour changer l’hostilité en vraie hospitalité réciproque.

Trois conditions pour un avenir commun

Trois conditions fondamentales sont requises pour pouvoir faire avancer votre juste cause et contribuer à un avenir commun incontournable qui soit vivable.

En premier lieu, l’unité, la synergie, le rassemblement, car il y a trop de clivages, d’émiettements, de dispersions des forces engagées dans l’expression et l’épanouissement des citoyens de confession musulmane. Multiples associations cultuelles, culturelles, sociales, mouvements soufis, défenseurs des droits civiques, représentants diverses de la société civile, tous ont le droit et le devoir de mettre l’accent sur la synergie, le bien-être commun et la complémentarité.

Chacun de vous doit se considérer comme trait d’union, pont et vecteur de conjonction, à l’intérieur de la communauté et de la société tout entière, pour faire reculer toutes les formes de divisions et de crispations. Notre modèle à tous est l’Homme universel, al-insane el-kamil, le Prophète (sws) miséricorde pour les mondes, qui avait pour souci de rassembler dans l’égalité, sans gommer les diversités et les singularités.

La deuxième condition pour relever les défis est celle de l’autocritique. Il n’y a aucune autre alternative pour être inventif, interpréter, être crédible, corriger les déviances. Ce qui implique de ne pas sombrer dans le désespoir ni la léthargie, mais de se maintenir dans l’éveil, d’oser le constructif et d’adopter un mode de vie à la fois raisonnable et créatif.

Il ne s’agit pas de reniement, de dénigrement ni de se flageller comme on le constate chez certains de ceux qui se disent intellectuels de culture musulmane non croyants ou qui prétendent se concocter un self-islam dans une logique faustienne.

Il ne s’agit pas de se lever tous les matins avec le souci de prouver indéfiniment sa loyauté qui va de soi, qui devrait aller de soi, aux valeurs et principes de la République, mais il s’agit de se rendre compte d’abord qu’une infime minorité, mais hélas bruyante, détruit de ses propres mains sa demeure, apporte de l’eau au moulin des détracteurs, trahissant ainsi et la lettre et l’esprit de l’islam.

Les deux mouvements dont doivent se garder tous les musulmans et les occidentaux musulmans en particulier sont ceux de la fermeture, d’un côté, et de la dilution, de l’autre. Ceux qui sont fermés instrumentalisent la religion-refuge et craignent la liberté. Ceux qui, au contraire, méprisent la religion appellent à la dépersonnalisation et à l’abandon de la foi et privent la société de la richesse de leur différence, ils la diluent et la nient. La critique constructive, l’autocritique, l’examen de conscience permettront de faire reculer à la fois l’apologie et le dénigrement et par là de desserrer l’étau dans lequel certains voudraient nous enfermer.

La troisième condition est celle de la nécessité de pratiquer le dialogue, le débat, la discussion. L’ignorance et la faiblesse en matière de communication sont parmi les causes de l’islamophobie et des discriminations. Face aux anathèmes, invectives et caricatures, il ne faudrait jamais répondre par la colère pourtant légitime. Peur entretenue pour les uns, colère pour les autres sont sources de désordres et de fractures. N’oublions pas que nous avons des amis solidaires et conscients, parmi les humanistes, les progressistes, les chrétiens, les libéraux, et tant de personnes attachées à la justice, qui ne sont pas dupes face aux propagandes consistant à s’inventer un nouvel ennemi comme épouvantail faiseur de diversion, même le nouveau président des Etats Unis d’Amérique Barak Obama cherche à comprendre.

Par le dialogue, disons haut et fort que nous revendiquons la sécularité, la démocratie et la pensée réfléchie, car elles sont partie intégrante de nos références spirituelles fondatrices. Nul n’a le monopole des valeurs humanistes et démocratiques. L’autonomie de l’individu, la non-confusion entre les différentes dimensions de la vie, le droit à la critique et la recherche commune du beau, du vrai et du juste sont à la base des cultures émancipatrices.

Le partage

Nous avons à les partager, tout en montrant par l’exemple qu’il est possible d’articuler et de conjuguer harmonieusement autonomie et être commun, individu et collectif, unité et pluralité, raison et foi, reconnaissance mutuelle du besoin de vivre ensemble et affirmation de sa propre conviction. Il ne s’agit pas seulement d’être tolérer, ni encore moins supporter, mais reconnu comme citoyen à part entière qui participe au devenir pour une vie effectivement partagée. Sur la base de votre comportement digne, autrui peut comprendre que la communauté des croyants est ouverte, en cohérence avec la communauté plus large de la société et de l’humanité. Notre culture n’est pas étrangère aux autres cultures.

C’est votre droit et votre devoir, votre apport, en tant que citoyens de confession musulmane de faire comprendre que l’existence n’a de sens que dans le partage et le respect du droit à la différence. L’un et l’autre ne sont ni le communautarisme, ni le particularisme ; mais l’équilibre entre l’Unité et la Diversité, sans qui il ne peut y avoir de civilisation. L’avenir du monde, de l’humanité se joue en ce moment. Vous, musulmans d’Occident, vous êtes comme une avant-garde pour aider le monde en détresse et en décadence à retrouver un universel commun et une vraie vie.

Vous avez le choix, face aux injustices et discriminations, soit de mal réagir, dans l’émotion et le repli, voire d’importer et d’imiter des pratiques et approches archaïques qui dénaturent et défigurent l’islam, soit de vivre de manière responsable, équilibrée, réfléchie pour contribuer à retrouver de la civilisation et, partant, de contredire de manière irréfutable et éclatante les islamophobes et autres xénophobes aveugles et voués à l’échec. Il est clair que l’immense majorité d’entre vous souhaite pratiquer le vivre-ensemble harmonieux, la foi éclairée et l’amitié avec vos concitoyens.

En effet, préférez patiemment toujours l’ouverture à la fermeture pour qu’autrui découvre votre humanité. Au vu de tant de préjugés à votre égard, et le fait que tous les problèmes se posent en même temps, politiques, économiques et sociaux, cela n’est pas donné d’avance ni aisé, certes, mais l’arbre de la persévérance donnera des fruits, si chacun donne l’exemple et assume sa responsabilité individuelle et collective. À une des questions d’un de ses compagnons sur le meilleur conseil pour assumer l’épreuve de l’existence le Prophète a répété par trois fois : « Ne te mets pas en colère. » Rappelons-nous, le Coran débute par le mot hamd, louange attitude de confiance et finit par celui de nass, les humains : c’est à l’humanité et au partage que nous sommes appelés, dans la vigilance.

* Ce texte est tiré de l’intervention donnée par le Professeur Mustapha Cherif, invité dans le cadre de la 27e Rencontre annuelle des musulmans de France, au Bourget, le 5 avril 2010.

Mustapha Cherif, Philosophe, Directeur Académique du Master International des Etudes Islamiques et Arabes de l’Université Ouverte de Catalogne, cofondateur et premier co-président du Groupe d’Amitié Islamo-Chrétienne et Président du Forum des Intellectuels Algériens, auteur notamment de : Islam and West édition The University of Chicago Press 2009

 

Le Maitre des Maitres

Tlemcen le 3 Mars 2010

Spiritualité

Sidi Abu Madyane Choaïb ben Al-Ansari d’Al-Hossein el-Andalousi Tlemceni

Le Maitre des Maitres

Le saint patron de Tlemcen, Sidi Abu Madyane Choaïb ben Al-Ansari d’Al-Houssein ???? ??? ???? ???????? ?????????, est le maitre spirituel du plus haut degré, d’où le nom de Ghaout, un pôle des pôles, un sommet de la hiérarchie des Hommes de vérité. Il concentrait la plupart des chaînes initiatiques des Sidiqines, issues de l’Ecole de Bagdad, d’Al Jillani et guide spirituel d’Abdeslam Ibn Machich Alami lui même maitre du vénérable Abu el Hassan Schadhily. Cheikh el Akbar Ibn Arabi, a juste titre, a appelé Abou Madyane : « Le cheikh des chouyoukh », Le maitre des maitres.

Que le cheikh el Akbar, le plus grand maitre, le désigne ainsi signifie que Abou Madyane non seulement appartient aux gens de la Proximité ahl Qorba, mais qu’il remplit dans la voie de la sainteté une fonction rare, celle d’une station spirituelle où toutes les sources se retrouvent. Il est considéré comme une référence initiatique pour les générations à venir par delà l’espace et le temps, en disciple privilégié du maitre des maitres le Sceau des Prophètes. Le cheikh, le maître soufi continu d’accomplir un degré de connaissance prophétique, en tant que al Waliu-Allah il participe à l’héritage prophétique.

Ce qui se joue dans le rapport lié au visible et à l’invisible, est la notion de cheikh, maitre, le chemin du dévoilement est difficile sans un cheikh. Le degré d’élévation s’affirme graduellement ou par immédiate illumination, Dieu guide à Sa Lumière qui Il veut et octroie les degrés selon sa Volonté, comme pour les titres de cheikh el Akbar, cheikh el chouyoukh, Qutb, pôle des maitres, sous la bénédiction du Maitre total, l’homme universel al insane el Kamel el Mustapha, lumière qui guide, et qui ne dépend ni d’un lieu, ni d’un temps. Sidi Boumediene disait à ses disciples : le premier secret des chouyoukh est fondé sur le verset qui appelle à suivre le Prophète si l’ont veut être aimé par Dieu : « Si vous aimez Dieu suivez moi, Il vous aimera » Certains reçoivent la baraka et le secret pour eux, d’autres peuvent les léguer et initier d’autres, c’était le cas de sidi Boumediene.

Abu Madyane né à Séville en Espagne, vers 520/1126, orphelin, pauvre, mais assoiffé de ilm et de maârifa, décide jeune, de se rendre au Maghreb. Après avoir tenté d’étudier à Séville, il se rendit en rive Sud, notamment à Fès, où il poursuivit son éducation religieuse.

Parmi ses maîtres, trois autres l’ont aussi marqué, deux qui furent des savants du fiqh malékite au sujet de la connaissance de la Loi : Ali ben Ghâlib (mort en 562 /1166), et Abû el Hassan al- Salaoui, et un maitre Soufi Abû Abdallah al-Daqqaq, de Sijilmassa, mort à Fès, qui lui a donné la khirqa le vêtement soufi du faqir qui symbolise le dépouillement et la licence d’enseigner (ijâza). Le soufisme, dans tous les sens du terme est l’approfondissement de l’Islam. Il est au cœur du sens de la vie orienté par le Coran et le Prophète. La vocation spirituelle du cheikh à la recherche d’al Haqiqa, l’amène à rechercher un maitre.

Il entendit un jour parler de la baraka d’un autre waliou salih, un solitaire, Abû Ya’zâ Yâlannoûr, ben Mîmoûn ben Abdallah al-Azmirî, un cheikh amazigh, un homme libre, qui vivait dans la montagne entre Meknès et Fès, où se trouve encore aujourd’hui son sanctuaire, dont les sentences et les paroles touchaient les soufis. Le jeune Boumediene partit un jour avec un groupe de foqara pour rendre visite à ce cheikh. Celui-ci l’accueillit de façon « étrange » pour des yeux profanes. Il le mit à l’épreuve, ayant vu par le kashf du cœur qu’il était béni. Il le laissa trois jours à sa porte sans l’inviter à entrer et sans lui donner à manger, alors qu’il recevait aimablement tous les autres. Il le repoussait sans rien dire.

Patient, et récitant sans cesse le Coran, le troisième matin le jeune homme se jeta par terre et roula son visage à l’endroit   où Abû Ya’zâ s’était assis. Quand il releva la tête, il était aveugle. Il passa toute la nuit suivante à prier et à pleurer. Au matin le cheikh l’appela : « Approche l’Andalou. » Sidi Boumediene s’approcha à tâtons et en position humble. Abû Ya’zâ lui passa la main sur les yeux, qui furent guéris ; puis sur la poitrine, et toutes ses angoisses s’évanouirent de son cœur. Il ne souffrait même plus de la faim. Le Maitre lui dit « tu a la baraka » et s’adressa aux autres sans autres précisions: « Ce garçon est appelé à un grand avenir ». Il l’admit comme le premier de ses disciples. Ainsi, le cheikh solitaire fut le premier maitre de Sidi Boumediene mis à l’épreuve. Il lui apprit durant des mois comment polir son cœur, chercher el Asm el aadham et travailler sir el taqwa.

Ainsi, c’est de ce cheikh du zuhd, de la pleine ascèse, montagnard berbère, qu’il reçu l’initiation à la voie d’El Ihsan, la voie de la rectitude, la voie soufie remontant, par le secret qui lie les maitres à travers les âges jusqu’au cheikh Jounayd de Bagdad, à Sarî al-Saqathî, à Habib al-’Ajamî et à Hassan al-Baçrî. Un an après, conformément à la ligne de l ‘Ihsan, qui appelle à pérégriner, à se mettre en mouvement, se dépasser, Sihu Tassihu, pour accomplir le cinquième pilier de l’islam, il demanda l’autorisation de partir à la Mecque. Pérégriner dans toutes les régions du Maghreb et du Machrek pour porter la bonne parole, méditer et prier. Le dhikr, était sa passion, pour se souvenir en permanence et psalmodier les louanges, cœur de la discipline soufie.

Le vieux cheikh lui fit ses recommandations : « Tu rencontreras en route un lion, des bandits et d’autres obstacles. N’aie pas peur. Si la crainte s’empare de toi, face à chaque épreuve dis : – Pour l’amour de Yâlannoûr, je te prie de t’éloigner. Et ton chemin sera aisé » Ce dialogue signifiait que Sidi Boumediene avait déjà atteint le degré de cheikh lui-même relié à une chaine initiatique voulu par Dieu.

Sur la route en pèlerinage à la Mecque, il fit une longue halte historique, à El Eubbad, à Tlemcen, où il enseigna à son tour la théologie et el Ihsan et pratiquait la khaloua. La beauté de Tlemcen, les pratiques pieuses de ses habitants, dont de nombreux chorfa et la position stratégique de la région au sein du grand Maghreb gagnèrent son cœur. Malgré des polémiques avec des fuquahas, des juristes, Les âmes habitées d’un désir ardent de Taqwa parmi les habitants de Tlemcen se tournèrent vers lui malgré son jeune âge pour trouver la guidance ; el huda.

A la Mecque, une rencontre allait éclairer et dynamiser le cours de l’histoire du soufisme. Sidi Boumediene el Ghawth, futur pôle, celle du pôle majeur de l’époque, le maitre de l’heure sidi Abdelkader al Jilani. Ils se reconnurent immédiatement au début sans même se parler et ne se quittèrent plus durant tout le hajj. Cheikh Muhyiddîn Abddelkader al-Jilani Qutb, pôle, phare de son époque pour la transmission du flux de la baraka mohammadienne, et par son savoir dans les sciences spirituelles et les disciplines relatives à la Loi divine. C’est de lui, insigne privilège, que sidi Boumediene reçut la khirqa du degré de Wali, en lui léguant l’essentiel des secrets que le Prophète octroie aux sidiqines.

Sur le chemin du retour, il se rendit en Palestine pour prier à El Qods et soutenir la résistance pour défendre les lieux saints. Ce Maitre spirituel, qui ne cessait de faire des rencontres hors du commun, aurait participé au côté de Salah Eddine, Saladin, à une bataille décisive et victorieuse contre les Croisés. Il précisa qu’il ne confond pas entre les moines pieux qui ne s’enflent pas d’orgueil et les guerriers agresseurs.

Après son pèlerinage et sa visite historique au Dôme du Rocher où il approfondit encore son érudition durant plusieurs mois, il décida de retourner au Maghreb pour vivre en Khaloua loin des zones urbaines. Cependant, selon une tradition, un de ses proches nanti de sa baraka aurait fait un songe qui l’a averti que sa vocation était d’enseigner dans les villes.

Il choisit alors de faire halte à Bejaia pour enseigner, peuplé d’arabo-berbères et d’andalous, centre de rayonnement du soufisme et des savoirs scientifiques autour de la Méditerranée. Andalou, Sidi Boumediene trouvait   à Bejaia un milieu intellectuel favorable, même s’il avait parfois d’âpres et de sévères discussions avec des juristes.

A son arrivée dans cette ville, sa renommée l’ayant précédée, il fut reçu comme il se doit par tous les notables, les simples gens et les foqara des différentes Tariquas sans distinction. Il proclame alors à tous : « Quand la Vérité apparaît, Elle fait tout disparaître », appelant à l’unité des musulmans et à la voie de la Haqiqa sur le sol ferme de la Loi et de la Maârifa. Sidi Boumediene laissait entendre que les plus beaux des héritages sont les hommes pieux et les femmes pieuses qui transmettent indéfiniment le sens de l’Ihsan. Pratiquant au plus haut degré l’abandon à la volonté divine, tawakkoul, et l’insouciance du monde, Sidi Boumediene a réalisé aussi pleinement que possible la station où l’on sait entendre l’inaudible et voir l’invisible, partout et comme il convient, les Signes et la Voix de Dieu.

Il savait que l’on ne peut connaître qu’une infime partie de la Science divine, le dévoilement est infini. Dans une de ses sentences il proclame : «  Le serviteur se lasse de la joie mais non pas de son Seigneur. Ce qui est passé ne peut être rattrapé, car le second   » instant  »  (extatique) n’est pas le même état. »

Les dons , Karametes, de sidi Boumediene étaient visibles. Il avait eu, comme le lui avait annoncé Abû Ya’zâ, un fils nommé Abû Mohammed Abdelhak, qui était doué d’une double vue en présence de son père. Agé de sept ans, il disait, par exemple :  » Je vois tel événement ou sur la mer tels bateaux et loin d’ici il se passe ceci et cela…  » Quelques jours après, les faits se confirment. Quand on lui demandait :  » Comment vois-tu ces choses ? « , il disait :  » Avec mes yeux « , puis il se reprenait :  » Non, c’est avec mon cœur « , et     aussitôt précisait :  » Non, c’est avec mon père, quand il est présent et que je le regarde. Quand il n’est pas là, je ne vois plus rien. »

Sidi Boumediene fut aimé et adopté par la population, tout comme Cheikh El Akbar Mohyiedine ibn Arabi, qui avait épousé une pieuse femme, issue de Bejaia de la famille des Ibn Abdou, et qui s’y était rendu déjà en l’an 590/1193, lors de son périple de Tlemcen à Tunis. Le Cheikh El Akbar y fit un autre séjour, en l’an 597/1200, et en recevant les cheikhs et foqara de la région, après le rappel à Dieu de Sidi Boumediene lui a rendu un vibrant hommage appuyé en le surnommant à cette occasion « Le Maitre des Maitres ».

Ibn Arabi précise que : « les –stations- spirituelles de base de Sidi Boumediene étaient, « el wara » le scrupule et « tawadhu’ », l’humilité ; qui consistent à reconnaître la servitude absolue de la créature vis-à-vis du Créateur. La dernière chose dont se libère l’âme des amis sincères de Dieu est l’amour de la souveraineté qui subsiste avec l’ignorance. Il avait, disait t-il le don d’intuition et de lecture des âmes. Il connaissait le sens profond et les correspondances des formes, des attitudes et des gestes avec l’état présent et futur de l’âme ».

Quatre siècles après, à Bejaia et à Tlemcen, le Cheikh Ahmed Al Burnussi Al Zurruk (Xe siècle hégire) qui était un Maitre enseignait la signification des paroles de Sidi Boumediene et d’Ibn Arabi. A cette même époque le Qutb, pôle du soufisme, qui dynamisa la Tarîqa d’Abu el Hassan Schadhily, disciple d’Abdeslam Mechiche, ce dernier faqir de Sidi Boumediene, Cheikh sidi Ahmed Benyoucef el Rachidi el miliani, disait après Sidi Boumediene  et Schadhily : « mes livres ce sont mes disciples ! » Sidi Boumediene a écrit au moins deux ouvrages, dont le plus décisif est « Ilm Tawhid », La science de l’Unicité.

En tant que modèle central dans l’histoire de la spiritualité au Maghreb la tarîqa schadhilya issue de la voie de Sidi Boumediene, a été rénovatrice du soufisme de manière marquante durant plus de cinq siècle et continue jusqu’à nos jours, conformément à l’esprit et à la lettre de l’enseignement de Sidi Boumediene, puis de tous ses descendants spirituels : sidi Abdeslam Mechiche, Abu Hassan Schadhily, Abu Abbés El Murcie, Ibn Atta Allah, à Ahmed Benyoucef et tous les cheikhs connus et inconnus jusqu’à nos jours. La tradition des chouyoukh qui ont suivi sidi Boumediene précise que le Qutb comme pôle, guide et Mujtahid pour chaque époque sera toujours un soufi de cette école de la confluence entre tant de voies nobles.

Sans oublier qu’Ibn Khaldoun lui même se sentait proche de cette voie, dans sa Muquaddima il s’est inspiré des enseignements de Sidi Boumediene et de ses descendants spirituels, notamment pour définir le soufisme, le mysticisme musulman. Il pratiquait sa retraite spirituelle dans la région, et visitait pieusement dharih du maitre des maitres. L’Emir Abdelkader qui fit don d’un minbar, une chaire, à la Mosquée Zaouïa du Maitre, en signe de vénération et de lien, était en outre bien placé pour vivre la synthèse des leçons spirituelles de Sidi Boumediene et de sidi Abdelkader el Jillani référence de saTariqua.

Les orientalistes français comme Marcel Bodin, Depont et Coppolani « Les confréries musulmanes en Algérie, Dermenghem La vie des musulmans en Algérie et ensuite Berque Ulémas fondateurs, insurgés du Maghreb ont consacrés une partie de leurs travaux à Sidi Boumediene.

La voie soufie préconisait par le Maitre des Maitres représente la mystique proche du concept de « Communauté médiane », soucieuse en priorité de « Batin », le sens caché et profond, de  dhikr Allah, souvenir et louange de Dieu, sans exclure l’engagement dans le monde pour défendre le juste et la justice. Ni ascétisme coupé de la vie, ni dilution dans les affaires du monde. Le détachement est intérieur . Une spiritualité axée sur l’approfondissement de la foi, respectueuse des normes et des critères de la religion de base, et en même temps foncièrement tournée vers le  Ghayb (l’au delà),  El Haq (le Vrai), El Motlaq (l’Absolu).

Sidi Boumediene a préconisé l’ascétisme sans se couper du monde. Les normes, comme l’amour de la patrie et le respect d’autrui, le devoir d’assumer ses responsabilités, face aux iniquités et agression, la nécessité de participer à l’apprentissage du vivre ensemble, à l’ouverture des esprits et à l’éveil des consciences, ont constitués un code de vie pour le cheikh el chioukhs et les maitres qui l’on suivit.

La voie de Sidi Boumediene est l’école spirituelle sunnite qui correspond à la notion d’Ummata al Wassat – communauté médiane. Le faqir est formé dans la stricte application de la charia comme cadre incontournable du dhahir, puis l’initiation au développement de la voie soufie. Dieu n’est pas t-Il Dhahir et Batin ? Pour Sidi Boumediene, puis Abu el Hassan Schadhily et Ahmed Benyoucef jusqu’à l’Emir Abdelkader et tous les maitres de notre temps, il s’agit de s’élever dans la cohérence des degrés de la remise en confiance à Dieu (Al Islam), la foi (Al Iman) et la vertu (Al Ihsan).

L’application fidèle des préceptes coraniques, par le bel agir et la piété en vue d’accéder au degré de  mohsine, soufi, deux mots identiques, qui signifient entre autres bien agir pour se réserver purement le Divin. Selon un Hadith du guide de tous les Maitres: le Sceau des prophètes, le mohsine aux yeux de Dieu est  L’être mis à part pour Son service Son Amour et Sa Miséricorde. La baraka de Sidi Boumediene el Ghaouth, le maitre des maitres, pour les pieux est toujours opératoire jusqu’à ce jour, sur la base du flux du Prophète.

Dieu guide à Sa lumière qui Il veut

Mustapha CHERIF

Regain de la xénophobie en Europe

Regain de  la xénophobie en Europe

                                                  Par Mustapha Cherif*

 

Les années trente sont-elles devant nous ? Malgré des acquis, comme les liens entre les responsables musulmans et les autorités locales, paradoxalement l’Europe prend une tournure radicale envers ses citoyens musulmans. Alors que tous les Européens ne confondent pas islam et fanatisme, l’opinion hostile aux musulmans se renforce. L’inconscient collectif en vient à considérer la figure du « musulman » comme dangereuse. C’est une tragédie. Dans quelle sorte de monde sinistre est-on en train de vouloir nous précipiter ?

La guerre aux musulmans

Interdire la construction de minarets en Suisse, lancer un débat en France sur l’identité nationale en visant l’islam, tout comme refuser de manière obsessionnelle l’entrée de la Turquie dans l’UE, et faire la guerre avec cynisme à des populations musulmanes dans plusieurs pays de l’Orient, généralisent un amalgame fondé sur la haine de l’autre. Les musulmans, diabolisés, sont assimilés à des extrémistes incapables de vivre avec les autres. Situation qui ressemble à l’atmosphère préfascisante du siècle dernier. Les actes de profanation des mosquées et des cimetières sont des signes avant coureurs, telles qu’on a pu les voir dans les années 30 dans l’Allemagne nazie. L’extrême droite européenne s’est construite depuis des décennies sur l’hostilité par rapport aux musulmans et ce mouvement est en train de déborder, pour faire diversion aux impasses économiques.

Depuis la chute du mur de Berlin, je ne cesse d’appeler au dialogue et d’alerter sur les risques que des idéologues font courir au monde, avec l’invention d’un « nouvel ennemi » sous la figure du musulman stigmatisé. Pour ceux habités par la haine, il est toujours plus facile de diaboliser les couches les plus vulnérables de la société, les victimes et de refuser le dialogue, que de faire face aux réalités. Que ce soit les pseudos « nouveaux philosophes » français pyromanes comme Bernard Henry Levy, André Glucksmann et Pascal Bruckner, ou les « théoriciens » de la politique américaine, comme Bernard Lewis, Samuel Huntington et Daniel Pipes, et autres politiciens et les sionistes va t-en guerre, alliés aux extrêmes droites ; tous participent à la construction de l’idée suicidaire d’ennemis supposés saper  l’«identité» occidentale et programment « la guerre » sous toutes ses formes contre les musulmans, sous couvert de « choc des civilisations ».

 

La guerre, intérieure contre les « mauvais européens », extérieure contre « les autres » semble vouloir s’installer. Au lieu de s’occuper des grands problèmes liés au devenir de l’humanité, des agitateurs d’idées et des politiciens en Occident considèrent qu’à notre époque, la question décisive c’est de savoir si les filles musulmanes doivent ou non se mettre un foulard sur la tête ! Des problèmes qui méritent un traitement pédagogique, sont montés en épingle de manière excessive. La diversion et l’esprit ségrégatif et discriminatoire l’emportent sur la raison.

Les reculs des sociétés musulmanes et des comportements irrationnels et criminels de groupuscules manipulés contribuent aussi à alimenter les préjugés et les crispations. Certains font aussi le parallèle avec les difficultés que rencontrent des chrétiens dans des pays musulmans.  Reste qu’aucun pays musulman n’interdit les clochers des églises. Depuis 1400 ans les pays musulmans, terre d’hospitalité, sont dotés d’églises, à l’exception de l’Arabie pays des lieux saints. Si des régimes de pays musulmans sont intolérants, cela ne peut justifier les discriminations de pays qui se disent « démocratiques ». Dans tous les cas, notre solidarité avec ceux qui souffrent ne doit jamais être sélective.

Il n’y a encore ni pogroms, ni rafles, ni discriminations systématiques, mais ce qui se passe est préoccupant. Rappelons-nous les drames à la fin du XXe siècle à Srebrenica et à Sarajevo au cœur de l’Europe et récemment à Gaza isolée, qui a subi les massacres à huis clos. A l’heure de l’absence de sens, des pouvoirs de pays européens, tentent  de reconstruire leur identité contre l’Autre, que l’on présente comme tout autre. Pulsions de nations vieillies et conservatrices, qui ont vu s’affaiblir la capacité  de l’échange des cultures. L’air du temps refuse aux citoyens européens de confession musulmane de s’enrichir de plusieurs sources sous prétexte de risque de communautarisme. Les xénophobes en Europe qui s’accaparent ce type de thème, se perçoivent comme une race dominante par rapport à ceux qui échappent à leur modèle.

Le vivre ensemble est possible

Les fidélités à l’espace où l’on vit et à l’origine, ou l’articulation entre raison et foi sont pourtant légitimes. L’identité de chaque citoyen est faite de multiples appartenances. Sans reconnaissance de cette multiplicité, il est impossible de construire le vivre ensemble. La France est  une terre où il y a depuis des siècles un brassage. Des mots comme tolérance et respect des différences devraient être une seconde nature aux habitants du pays de l’universalisme, du siècle des Lumières, de la Révolution de 1789, et de l’humanisme chrétien. C’est une hérésie d’opposer l’identité européenne et l’immigration, la civilisation occidentale et la religion musulmane. L’Occident a été judéo-islamo-chrétien et gréco-arabe. Le monothéisme et la Méditerranée sont nos sources communes. L’amnésie entretenue et la mise à l’écart délibérée du legs culturel de l’islam ont abouti à créer un abime entre les deux rives.

Il y a un recul de l’intelligence, de la connaissance de l’islam,  de l’universalité des valeurs, dont  l’Europe intellectuelle hier pouvait s’honorer, sous la figure de savants et penseurs du discernement, lucides et critiques constructifs, comme hier Louis Massignon, Henri Corbin, Jacques Berque, Louis Gardet, Jacques Lacan, Gilles Deleuze, Félix Guattari Jacques Derrida, Gérard Granel, Pierre Bourdieu. Aujourd’hui, la voix de philosophes et chercheurs éclairés comme celle de Pierre Legendre, Jean Luc Nancy, Edgar Morin, Jean Bauberot, Vincent Geisser, René Major, Alain Badiou, Emmanuel Todd et celle de théologiens et prêtres, d’évêques soucieux de justice, qu’ils soient Suisses ou Français, n’est pas entendue. Mais on ne doit pas s’abandonner à la lassitude. Il est possible d’engager des luttes à contrecourant de l’air du temps, à partir de solidarités transfrontalières. Il ne s’agit pas seulement de dénoncer le sort des discriminés, mais de changer un mode de représentation ancré dans la subjectivité collective.

La société européenne peut intégrer les différences, mais des politiciens veulent lui faire croire que les musulmans veulent imposer un changement des paramètres fondamentaux de son modèle. Les musulmans européens sont dans leur immense majorité des citoyens loyaux et cohérents, dignes de ce nom, ne remettent pas en cause le pacte civique, sauf exception ne  portent pas atteinte à l’ordre public, marquent une adhésion sans faille au régime républicain. L’islam, deuxième religion de France est présent dans l’espace européen depuis longtemps et fait partie du paysage sociologique.  Qui peut nier qu’il y a  un islam européen  séculier,  paisible, attaché, entre autres, à l’amitié islamo-chrétienne ? Ce qui signifie que le vivre ensemble est possible. Aucun musulman ne refuse le partage, l’intégration dans la vie économique et la saine participation à la vie politique, là où ils sont possibles. Cependant, la plupart refusent l’assimilation, la dépersonnalisation. L’expression de cette résistance peut être maladroite, mais elle est légitime, vitale.

Pour les dogmatiques antireligieux, toute religion dans tous les cas divise au lieu de rassembler, opprime au lieu de libérer. L’Europe est dominée par cet air du temps. Désinformer et exclure est déraisonnable. Cela généralise la mondialisation de l’insécurité et fragilise les sociétés qui combattent l’intégrisme.  L’islamisme, archi-minoritaire, qui est l’anti-islam, résultat des contradictions de notre temps, est outrageusement mis en avant  pour faire croire que c’est cela la religion musulmane. La distinction cardinale entre « islam » et « islamisme » est ignorée. Les rigoristes et les obscurantistes représentent un dévoiement de l’islam. Dans un monde qui s’est construit contre la religion, la crainte de l’islamisme se transforme en un rejet  de l’islam. C’est la stigmatisation, avec ses glissements de sens et ses slogans fondés sur l’amalgame.

C’est d’autant plus choquant, que les trois prétendues pommes de discorde : l’idée de la non confusion entre le spirituel et le temporel et la liberté de conscience sont conformes à l’esprit et à la lettre de l’islam. D’autant que, le problème n’est pas uniquement celui du politique. Il est celui, de la norme fondamentale, de l’origine des règles de la conduite humaine, dans des domaines essentiels, la morale, la famille, la communauté. La désignification du monde est le grand problème. Ceux qui ont des règles de vie tentent de garder vivantes ses valeurs. Reste à ce qu’elles soient vécues de manière ouverte et non fermés. L’Occident  capitaliste pose problème car il a décrété au nom d’une vision arbitraire et confuse que les normes des « autres » cultures ne sont pas valables. Le tout dans une situation de violence économique.

Le recul de la démocratie

Il est compréhensible que des citoyens européens s’inquiètent des excès des croyants fermés et des archaïsmes, mais l’amalgame et la politique des boucs émissaires sont inadmissibles. Il est légitime que les croyants puissent exercer démocratiquement leur mode de vie et leur foi dans des conditions dignes. En quoi des revendications démocratiques, pour disposer de carrés confessionnels dans les cimetières, des repas sans porc, la construction d’espaces décents de cultes et le respect de la morale et la      pratique spirituelle posent t-ils un problème pour la République ?

 Certes, des paroles d’apaisement des officiels sont entendues comme « la France est une République laïque qui doit protéger l’ensemble des cultes » et doit «condamner à la fois l’islamophobie et l’islamisme radical. Mais il est étonnant qu’un chef d’Etat, qui défend l’idée d’une laïcité positive, à cause d’une infime minorité d’intégristes, inflige à tous les musulmans un rappel à l’ordre injuste, que même les sectes n’ont pas subi: « Les peuples d’Europe …ne veulent pas que leur cadre de vie, leur mode de pensée et de relations sociales soient dénaturés. » Comme si l’islam était non seulement « étranger », mais étrange, et incompatible. Un islam cantonné « au tribalisme et au communautarisme. ». Les musulmans de France sont menacés: « tout ce qui pourrait apparaître comme un défi lancé à cet héritage  (européen)  et à ces valeurs condamnerait à l’échec l’instauration si nécessaire d’un islam de France… se garder de toute ostentation et de toute provocation…»

Le musulman est un bouc émissaire, otage de calculs politiciens qui exploitent l’air du temps pour faire diversion aux échecs. L’islamophobie semble érigée en politique officielle.  Pourtant, les autorités recherchent des dispositifs pour faciliter l’intégration sociale, il est dit : « Je combattrai toute forme de discrimination » et il est question de « fraternité ». Malgré la montée de la xénophobie, dont les graves dérapages sur le débat sur l’identité nationale en France et le vote contre la construction de minarets en Suisse reflètent le danger, nous refusons de croire que « l’islamophobie » s’érige en principe de politique publique, cela rappelle des temps sombres. Les êtres épris de justice, doivent faire barrage à l’intolérance et au repli identitaire.

 Le refus du droit à la différence et partant le recul de la démocratie sont les facteurs qui menacent la liberté des peuples. Il y a des inégalités monstrueuses, Dans les zones urbaines défavorisées en Europe, près de 40% des hommes jeunes sont au chômage, soit le triple de la moyenne nationale. L’injustice est flagrante, l’inconscient collectif les a relégués dans ses zones d’ombre inquiétantes. Il y a en Europe des millions de citoyens issus de la rive Sud, qui y sont depuis des décennies, pour répondre aux besoins économiques et démographiques de la terre d’accueil, ont contribués au développement, vivent dans des conditions déplorables, avec des salaires de misère, accablés par un climat xénophobe et des lois répressives qui marginalisent et enferment dans des zones de non-droit. Ce sont eux que l’on vise comme n’étant pas vraiment européens. Cette posture politique de la diversion est immonde. Alors que leur vitalité est perçue comme subversive, la sécularité ouverte devrait permettre à nombre d’entre eux de progresser dans la hiérarchie sociale.

Les problèmes de fond sont liés au recul de la démocratie. Le vrai débat est celui sur la démocratie. Celui sur « l’identité nationale » dope les xénophobes et le libéralo-fascisme. Le recul de la démocratie est un danger pour tous. Parlons-en.                                    

 Mustapha Cherif

intellectuels@yahoo.fr

 

  

 

 

La résistance face à l’hégémonie

LA GUERRE EST TOTALE

La résistance face à la crise de l’hégémonie

Par Mustapha Cherif

29 Octobre 2009 –

Jamais le monde n’a connu une telle crise multiforme, la guerre est totale, politique, économique et culturelle. Les relations internationales ne sont pas démocratiques et la majorité des pays le sont si peu. Les citoyens décident de moins en moins de leur avenir. Des oligarchies, des centres et des lobbys décident pour eux, y compris dans les pays dits développés qui se basent sur la légitimité des institutions et la prolifération des normes juridiques.
L’époque est marquée par les manipulations, la loi du plus fort et l’unilatéralisme. Des puissances émergent, sur la base de la croissance économique, mais ne sont pas des modèles de démocratie, différents du système dominant. Malgré les progrès scientifiques et des frémissements pour réduire la sauvagerie du libéralisme, il n’y a pas d’ordre juste, ni de civilisation. Le principe de l’accumulation de richesses et de croissance au profit d’une minorité est synonyme d’inégalités et de paupérisation. Le contraste est choquant entre l’opulence des sociétés riches, bénéficiaires de la rente, et la misère des sociétés dominées. Ou bien la démocratie est universelle et a un sens, ou bien elle n’est qu’un slogan qui occulte que les décisions sont prises par des cercles restreints.

Le droit au débat public

Dépossession des peuples de leurs richesses et de leur souveraineté caractérise la mondialisation. Des anciennes formules totalitaires «tout est religieux» et «tout est politique», on est passé à «rien n’est religieux, rien n’est politique, tout est marchandise». Rien de décisif ne se fera sans démocratie. Les musulmans sont au centre de polémiques et prennent la figure du dissident réfractaire à la démocratie. Pourtant, en Islam tout exige d’édifier la démocratie, toujours à venir. L’opposition entre l’Orient et l’Occident n’a pas lieu d’être. Un monde multipolaire et démocratique permettra aux pays soumis à des archaïsmes de s’engager sur le chemin des réformes et aux différences de s’exprimer dans le respect mutuel.
La symbiose, hier donnée naturelle, sera-t-elle possible demain? Comment s’ouvrir au monde, sortir du sous-développement, des despotismes, des fanatismes et des compréhensions fermées du monde? Comment faire face à l’hégémonie, à la crise de la modernité, au «désenchantement», à la «désignification» et au libéralisme sauvage? Comment faire face à la loi du plus fort, à la recolonisation sous d’autres formes et à la déshumanisation, autrement que par la consolation dans la religion? Comment saisir qu’il y a encore du sens dans le partage et que ce n’est plus sous l’expression de ce que nous avons connu comme «indépendance»?

Les peuples sont face à leur responsabilité pour produire des progrès sur le chemin de la construction d’une civilisation authentique, libérée de la domination du libéralisme sauvage et des idolâtries sous toutes leurs formes.
Il faut réinventer «la démocratie», c’est elle qui manque. Certains prétendent que le peuple ne sait pas toujours ce qu’il faut faire et que la politique a peu de lien avec la morale. Mais la démocratie, qui n’est jamais parfaite et définitive, est la condition du développement et de la paix. On veut nous faire croire que le monde unipolaire et unilatéral est en train de disparaître, alors que la mondialisation est «occidentalisation». Le modèle dominant ne peut être imposé. Nous avons le droit au débat public et à la participation à la décision. Pour créer une civilisation, qui fait défaut, le monde doit s’organiser sur les plans politique, économique et culturel. Les peuples ne sont pas dupes. Ils refusent et l’hégémonie arrogante et la réaction aveugle à l’oppression. Le monopole des pouvoirs conduit à des catastrophes.
Les pratiques des religions comme idéologies crispées, en contradiction avec les textes, ne permettent pas de faire face à l’exigence du vivre-ensemble. L’altermondialisation s’essouffle, faute de doctrine politique. Le monde entier constate à quelles postures antidémocratiques conduisent, à la fois, les dérives fanatiques d’adeptes d’idéologies, comme le sionisme radical qui agit dans l’impunité et le libéralisme sauvage, d’un côté, et celles d’extrémistes «politico-religieux», d’un autre côté. L’autre différent est stigmatisé, défiguré, diabolisé. Dans ce contexte, la lassitude et le mutisme sont contre-productifs, même si le retrait est une figure de sens. Est-on capables de saisir ce qui se profile et faire face aux défis du devenir?

Les leçons des révolutions

Premièrement, comprendre les expériences politiques des peuples. Cela s’appelle l’interconnaissance.
Deuxièmement, sans relativisme, favoriser le dépassement des différences, comme celles entre le Nord et le Sud, car le Nord est partout et l’Orient et l’Occident sont imbriqués.
Troisièmement, témoigner pour défendre le vivre-ensemble. Les discours sur le prétendu «choc des civilisations», la haine, raciale et religieuse, les fanatismes, l’imaginaire de la peur et du dénigrement et l’hégémonie par le Marché sauvage troublent l’époque.
Le système dominant confisque la parole, divise pour régner, s’oppose au changement et pratique le double standard. Les leçons des révolutions spirituelles révélées qui responsabilisent et mettent fin aux idolâtries, les révolutions citoyennes, américaine de 1776, française de 1789, russe de 1917, des luttes de libération, de la chute du mur de Berlin et des résistances au nom de la liberté, ne peuvent passer aux oubliettes. Les luttes victorieuses de libération du monde arabe, de l’Asie et de l’Afrique, à leur tête celle de l’Algérie, qui ont fait l’histoire du XXe siècle, ne peuvent être ignorées.
Tous ceux qui sont attachés au droit ont besoin de nos voix pour le règlement négocié des conflits et injustices.

Des musulmans attendent des puissants de sortir de la politique des deux poids, deux mesures. Des non-musulmans attendent de comprendre pourquoi des «musulmans» ont, aujourd’hui, des difficultés à bâtir des Etats de droit? Le monde musulman est hétérogène et s’étend sur plusieurs siècles et continents. Au vu des discours hâtifs et cyniques, qui s’inventent des ennemis, la question du vivre-ensemble est pressante. Comment réapprendre? En étant solidaires de manière non sélective des peuples et groupes qui souffrent, en déconstruisant le regard que nous avons les uns sur les autres et en oeuvrant pour que la démocratie ne soit pas un mirage qui justifie la domination. Certains affirment que le monde est menacé par le retour du religieux fermé, ou au contraire par la marginalisation des valeurs abrahamiques et morales. Alors que les deux dérives sont nuisibles. Le pillage des ressources naturelles du Sud perpétré par les sociétés opulentes du Nord, bloque toute perspective de développement digne de ce nom pour les peuples concernés et constitue le problème fondamental sur le plan économique. Dans cet esprit, la «crise de l’énergie» n’est pas le produit de la raréfaction des hydrocarbures ni les conséquences de la pollution. La crise est à la fois le résultat du monopole en matière de décision politique et d’accès aux ressources naturelles de la planète.
Les revendications des «écologistes» ne posent pas assez le problème de fond, celui de la propriété et de la circulation juste des biens. Malgré le silence des peuples et l’apparente absence de mobilisation, la résistance des nations du Sud est bien réelle. Les citoyens savent qu’il y a différentes voies pour résister.
La crise actuelle n’est pas seulement une crise économique, mais la crise du système dominant, capitaliste, athée et individualiste. Sur le plan géopolitique, la crise est celle de l’hégémonie des Etats-Unis et de l’Occident. Malgré tous ses paradoxes et ses limites, le monde musulman résiste, à tout le moins sur le plan moral.

Un nouveau monde

Nous devons dépasser les formules telles que «la paix et l’amitié». Il faut repenser la portée du mot «démocratie», pour rechercher, de manière publique et commune, le juste, le vrai et le beau. Oeuvrer au changement en vue de dépasser les discours peu engagés dans le réel et empêcher que la mauvaise direction prise, soit irréversible. L’Algérie, riche de son expérience, peut y contribuer. Sur le plan politique, la constitution d’une instance internationale de la démocratie sous l’égide de l’ONU sera salutaire pour la démocratisation des relations internationales et des pays. Sur le plan économique, l’humanité a besoin d’un ordre mondial juste, basé sur la négociation. Sur le plan culturel, traduire les politiques de l’exception culturelle, du dialogue et de la circulation des savoirs. Un ordre démocratique, en somme une commune civilisation qui allie justice et sens, passe par l’échange. Un point de départ: ne pas accepter les deux impasses: la loi du plus fort et la réaction aveugle. Nul ne peut réduire la mondialisation de la déshumanisation et de l’insécurité sans conjugaison entre politique et démocratie.

(*)Mustapha Cherif

intellectuels@yahoo.fr

Les compagnons du Prophète : une élite universelle

Conférence prononcée à l’occasion des Durus Mohamadiya à Oran sidi Maarouf

Le 31 Aout 2009

Par Mustapha Cherif

Les compagnons du Prophète : une élite universelle

Ils avaient pour Maitre l’homme total, le Sceau des prophètes ; pour guidance le Livre du discernement, le Coran ; et pour base leur noble nature, fitra chevaleresque. Ils étaient quelques dizaines au début, puis quelques centaines à avoir émigré à Médine, ensuite dix mille à avoir libéré la Mecque et enfin cent mille à avoir effectué le pèlerinage d’adieu avec le Prophète. Ils ont fait connaître l’Islam au monde, avec leur comportement exemplaire respectueux de la liberté et de la dignité. Le Coran exige d’être pieux, juste et de pratiquer l’interprétation, en aimant Dieu et le Prophète plus que tout, c’est la voie de la rectitude, les conditions pour être une élite qui a porté très haut la notion vécue de fraternité humaine.

Ce sont ces qualités que les sahabâs, compagnons du Prophète, incarnent en tant qu’héritiers d’el insan el kamil. Les sahâbas sont une élite dont il faut s’inspirer. Dieu dans le Coran a exprimé sa satisfaction au regard de leur comportement : « Dieu fut content des croyants quand sous l’arbre ils te rendaient allégeance. Et Il savait ce qu’il y avait dans leur cœur. Il fit descendre en eux la sérénité et les récompensa d’un succès prochain. » (S 48, V 18). Ils sont l’exemple à suivre pour forger une élite dont la société a besoin. Cependant, un double problème se pose. Le premier c’est le fait que l’écart est grand entre ce modèle de conduite et celui des musulmans d’aujourd’hui. Au lieu de se limiter à louer les vertus de ces grands hommes, on doit se corriger pour essayer de s’approcher de leur niveau remarquable. Deuxièmement, la vision étroite de courants qui figent et déforment le beau modèle des sahâbas, monopolisent leur héritage et empêchent d’en tirer les leçons pour notre temps.

1- Justice et Piété

Ils étaient pieux et justes: « Pratiquez l’équité : cela est plus proche de la piété. » (S 5, V 8). Le comportement des sahâbas est une preuve que les êtres humains possèdent la capacité de reconnaître le Vrai, de s’élever, d’humaniser leur comportement et celui de la société. Ils permirent de mettre fin à la domination des polythéistes, des idolâtres et des despotes, qui infantilisent et limitent les humains. Les récits sur l’émancipation sur la seule base de la force, de la richesse, ou de la race, est contesté par le modèle des sahâbas modèle libérateur. Les sahâbas prêchaient la vérité parfaite de l’islam, mais ne prétendaient pas au monopole du vrai. Ils admettaient le droit à la différence, le droit à la critique, à la liberté pour faire reculer les injustices. Umar Ibn El Khatab, modèle de chef juste et pieux, disait toujours, si je me trompe corrigez moi. Il faisait sans cesse son examen de conscience. Dans ses décisions, il a défendu le faible, la victime, l’innocent, quelque soit le rang du fautif, conformément à la parole de Dieu. Le Coran et le Prophète ont transformé des hommes simples, pétris de naturel, en une élite, modèles excellents de bel agir dans la vie.

Ils sont l’élite et l’exemple, car ils ont dépassé l’égoïsme humain. Les sahâbas par leur motivation ont réalisé la première communauté médiane, au sens de la cité humaine juste : -« Nous avons fait de vous une communauté médiane pour que vous témoigniez des hommes, et que l’Envoyé témoigne de vous. » 2- 143. Les sahâbas répondent aux 9 catégories citées par le Coran, ceux qui sont aimés par Dieu : 1- qui suivent le prophète 2- les croyants, 3- mohssinines, (5 fois) les bienfaisants, 4– enclins au repentir tayibines , 5- qui se purifient moutatahirines 6- les pieux moutaquines 7- les patients sabirines 8- qui combattent sur son chemin, uquatilou fi sabilih, 9- les équitables mouksitines , 10 ; les confiants moutaoukilines,

Abû Bakr As-Siddîk est le premier des sahâbas du Prophète qui remplie ses conditions. Ce n’est pas un hasard que le premier compagnon est nommé As-Siddik, qui signifie: le sincère, celui qui confirme, la force de décision, le fidèle. Nul ne peut être un vrai musulman sans cette qualité Assidk ; liée à la confiance.

2- Le sens de l’engagement

As-Sahâba ont soutenu le Prophète et ont propagé, son message, en assumant leurs responsabilités.  C’est grâce à leur engagement que les enseignements de l’islam nous sont parvenus intacts.  Par leur fidélité à la voie du Prophète ils ont transmis la Sunna. C’est grâce à eux que des peuples du monde entier sont devenus musulmans, car ils n’imposaient pas leur vision, mais s’adressaient à la liberté de chacun.  Le Coran les a décrit ainsi : » Il est, parmi les croyants, des hommes qui ont été sincères dans leur engagement envers Dieu. Certains d’entre eux ont atteint leur fin, et d’autres attendent encore ; et ils n’ont varié aucunement dans leur engagement  » Sourate 33- verset 23

Qui a incité les nobles du peuple du Prophète à accourir pour embrasser sa religion? Ils quittèrent tout ce qu’ils avaient comme gloire et faste pour la voie de l’épreuve. Et qu’est-ce qui a poussé les faibles de son peuple à accourir pour le suivre, lui qui était sans armes et sans argent ?  Ces premiers temps de l’islam où l’épreuve était grande pouvaient repousser les premiers convertis : la force du Message coranique fondé sur la responsabilisation et le noble caractère du Prophète les ont motivés.

La société du temps des sahâbas n’était pas angélique et paisible, mais confrontée à l’adversité. Il y avait des difficultés. La dureté était telle que trois sur quatre des premiers Califes furent assassinés, morts en martyrs, Umar, Athmane, Ali.

Les sahâbas savaient que la vie est une dure épreuve, notamment pour eux qui avaient l’historique tâche de traduire pour la première fois la révélation finale dans la vie. Les sahabas refusaient l’agression, la violence gratuite, et les comportements inhumains. L’adversaire, dans la perspective du combat loyal, n’est jamais un non-humain ou un ennemi pour toujours. De ce fait, le Prophète et ses compagnons recommandaient de ne jamais humilier l’adversaire vaincu, et le faible, conformément à la Parole: «  Dieu ordonne la justice, le bel-agir, la libéralité envers les proches ; il proscrit la turpitude, le blâmable, la démesure, il vous sermonne, en attendant de vous que vous méditez » (Sl/16/ 90)

Forts face à l’adversité, cléments dans la relation humaine, c’est ce qui formait la mentalité de l’élite. Un des compagnons chroniqueurs de la vie du Prophète rapporte que l’envoyé de Dieu a dit : «Vous me questionner sur les pires d’entre les croyants ? Les gens présents ont dit : Oui, certes, si tu veux, ô Envoyé de Dieu ! Il a dit : Les pires sont ceux qui s’installent en solitaires, flagellent leurs serviteurs et interdisent les secours. Voulez-vous que je vous indique qui sont pires ? Les gens présents ont dit : Oui, certes, si tu veux, ô Envoyé de Dieu ! Il a dit : Ceux qui détestent les gens et qui sont détestés. Puis il a dit : Voulez vous que je vous indique qui sont pires encore ? Les gens présents ont dit : Oui, certes, si tu veux, ô Envoyé de Dieu ! Il a dit : Ceux qui n’acceptent ni trébuchement, ni excuse et qui ne pardonnent pas une faute. » Ce sont des principes liés à l’art de vivre en société.

3- L’esprit d’ijtihad

La piété, la justice et le sens de l’engagement qui animaient les sahâbas, étaient nourris par leur esprit naturel d’ijtihad. Les Compagnons du Prophète n’étaient pas tous des savants, mais une élite de bon sens, ouverte, qui n’a rien à voir avec les courants qui prétendent imposer la loi aux croyants. Ils se préoccupaient du sens. Sur le plan des normes, du droit, le fiqh des sahâbas découlait de l’éthique, que le Coran et le Prohete leur inspirés. Non encore codifié, ni dans des livres, ni dans des écoles, le fiqh des sahâbas était un exercice ijtihad imprégné de la sunna charifa du Prophète. Leur ijtihad était la voix de leur conscience et de l’influence invisible du Prophète sur les coeurs. Des musulmans mal informés, projettent sur cette époque une conception erronée, celle où le fiqh serait en partie rigidifié, à travers des canaux étroits. C’est cette image déformée du fiqh qui nourrit les mouvements fermés, qui trompent des croyants au nom d’un savoir falsifié, étranger tant à l’héritage des sahâbas, et des oulémas qu’à l’esprit des textes.  Ies mouvements fermés sont obsédés par le fiqh, sans connaître la place du fiqh dans la hiérarchie du savoir islamique.

Les sahâbas certains étaient illettrés, mais avaient du bon sens, la Révélation était en acte sous leurs yeux et le modèle excellent du Prophète leur guide, de ce fait ils sont des référence en matière de fiqh pour les générations à venir. L’ijtihad et le ta’dîl al-sahâba reposent sur l’ouvert et non le fermé, ni sur un fiqh daté, ou une référence intemporelle à imiter aveuglement. Les Sahâbas sont des modèles de sincérité, de méthodologie et d’ijtihad, plus que des autorités juridico-religieuses disant le vrai sur un point de shar’. Ils savaient que l’Islam humanise et responsabilise. Ils contesteraient toute idée absurde comme celles de l’imitation aveugle.

Dans ce sens, les avis émis par les compagnons du Prophète occupent une place dans la jurisprudence de Malek Ibn Anas. Il pensait avec raison que la pratique des Compagnons doit être annexée à la sunna. Les compagnons assumaient leur responsabilité, donnaient leurs points de vue raisonnables et créatifs, pour affronter les problèmes du monde.C’est ce qui est attendu des élites et des croyants de toutes les époques. Dans le hadîth de Muaâd le sahabi, quand le Prophète le chargea de partir annoncer et expliquer le Coran au Yémen, il lui demanda : « Selon quoi vas-tu juger ? » Il répondit : « Selon le Livre de Dieu. » Il lui demanda : « Et si tu n’y trouves pas la réponse ? » Il répondit : « Selon la tradition du Messager de Dieu. » Le Messager lui demanda encore : « Et si tu n’y trouves pas la réponse ? » Muaâd dit : « Je donne mon opinion après mûre réflexion et pour interpréter je ne ménage aucun effort. » Alors, le Prophète le félicita, et dit : « Louange à Celui Qui a guidé mon compagnon, le messager du Messager. »

« Ne dites pas du mal de mes compagnons, car je jure, par Dieu, que même si l’un d’entre vous donne en aumône l’équivalent de la montagne de Ouhoud, il n’égalerait pas les mérites d’un seul de mes compagnons. » Rapporté par Boukhari et Mouslim. Le Prophète a dit de « suivre ma Sunna et celle de mes compagnons ». Ils ont réalisés ce que Dieu dit d’eux : « Vous êtes la meilleure communauté qu’on ait fait surgir pour les hommes vous ordonnez le convenable, interdisez le blâmable et croyez à Dieu… » (S 3, 110). Il reste à faire émerger pour chaque génération, une élite qui poursuive le chemin, car pour être la meilleure communauté il y a des conditions, rien n’est donné d’avance, il faut pour sois même d’abord ordonnez le bien, assumer nos responsabilités pour notre temps. Il y a un grand défi aujourd’hui pour les peuples musulmans, celui de construire une voie médiane, juste, entre les dérives du kofr et celles du repli sur une ligne rétrograde. Pour ce faire, comme hier pour les sahâbas, le rôle d’une élite juste qui ne renonce pas à témoigner est irremplaçable.

Aujourd’hui ceux qui suivent la sunna du Prophète et de ses compagnons, fi el batine oua el dhahir, tabiines, sont les mohsinines, awliya Allah As- salihines, ceux encore vivants parmi nous, comme le maître soufi sidi cheikh Abdelatif, les nouveaux compagnons du Prophète, ses frères, héritiers de sa baraka, Annour el mouhamadiya qui guide les pieux, les justes sur la voie de la rectitude : Car il disait « vous êtes mes compagnons mais ceux qui me suivront dans les temps à venir, sont nos frères. » ??????? ????? ??????????????

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Mustapha Cherif

De quoi sera fait demain?

RELATIONS INTERNATIONALES
Journal l’Expréssion

De quoi sera fait demain?

Par Mustapha Cherif
27 Août 2009 – Page : 14

L’Occident est détenteur des leviers de commande dans les institutions internationales: Conseil de sécurité, FMI, Banque mondiale, OMC. (NPM: le Conseil de sécurité de l’ONU)

L’instabilité et la crise touchent le monde entier. Aujourd’hui, l’humanité se débat dans des problèmes complexes. Il y a de plus en plus de gens malheureux, des inégalités, des violences, les impasses semblent le lot de notre temps. Les peuples du «Sud» ne doivent pas seulement dénoncer les injustices et la «désignification», il faut qu’ils pratiquent l’autocritique, se réforment et assument leurs responsabilités. Cela est de la plus grande importance pour être crédible et dépasser les discours si peu engagés dans le réel. L’ignorance, la peur et la loi du plus fort dominent.
Même sur des sujets d’intérêt commun, comme le réchauffement climatique, des divergences subsistent. Certains se demandent qui menace l’autre de l’Occident et du monde musulman? Pourtant seuls les principes du vivre-ensemble et de la coexistence sont porteurs d’avenir. De plus, le rapport de force, incomparable, est en faveur de l’Occident, sur le plan des richesses et de la puissance technique et militaire, même si la population islamique est le double environ de l’Europe et des USA réunis. Fonctionnement dynamique de l’OTAN, de l’UE et des USA, face à la paralysie des régimes islamiques, par-delà leur hétérogénéité, ajoutée à la faiblesse de la Ligue des Etats arabes et l’inefficacité de l’Organisation de la conférence islamique.

L’Occident, maître du monde
Les relations internationales actuellement reflètent les rapports de force et l’absence de changements profonds depuis cinq siècles et, plus encore dans le temps contemporain, depuis1989. La solution est dans la coopération, car les deux mondes sont liés et proches, et le développement dépend surtout de la maîtrise du savoir et des connaissances, dans un contexte de responsabilisation des citoyens.
Les déséquilibres restent largement en faveur de l’Occident, qui, sur les plans décisifs, est maître du monde: maîtrise de la quasi-totalité des brevets de recherche et des avancées technologiques, possesseur de la plupart des 500 multinationales qui influent sur l’économie mondiale, et détenteur des leviers de commande dans les institutions internationales: Conseil de sécurité, FMI, Banque mondiale, OMC.
Sur le plan politique, les systèmes de chaque pays occidental et les institutions qui les relient entre eux, sont stables et se perfectionnent en permanence. De plus, l’Occident reste la source des principales règles et principaux concepts qui sont produits en matière de gestion des relations interindividuelles et internationales, sur le plan juridique et économique. Alors qu’aucune université et centre de recherches arabo-musulmans ne figurent parmi les 100 premiers établissements scientifiques du monde, 90% d’entre eux sont occidentaux. Un seul pays islamique, de surcroît sous contrôle américain, détient l’arme nucléaire. Le PNB par habitant, à l’exception des six pays pétroliers du Golfe, est dix fois environ plus faible que celui de l’Occident. En somme, le monde musulman, malgré à la fois son histoire, le fait qu’il détient 60% des réserves d’énergies dans le monde et occupe une place géostratégique centrale, est dépendant de l’Occident sur plusieurs plans.
En termes de perspectives d’avenir, des politiques et des experts occidentaux s’interrogent pourtant sur l’avenir du monde occidental. Ce n’est sans doute pas toujours la logique de la conquête, de l’hégémonie et de la confrontation qui sous-tend les interrogations occidentales. La montée en puissance de la Chine et des pays émergents, comme l’Inde et le Brésil, et le retour de la Russie restent limités, malgré une concurrence.
Ainsi, aux yeux de citoyens, parmi les objectifs, prétextant les tragiques dérives de groupes manipulés et produits par les contradictions de ce même Occident hégémonique, certaines puissances viseraient les richesses de l’Orient, refusent le droit à la différence et cherchent, dit-on, à «recoloniser» le monde musulman sous de nouvelles formes. Selon certains d’entre eux, en Occident comme en Orient, la théorie du choc des civilisations va se vérifier en ce XXIe siècle. Paradoxalement, alors qu’ils sont hyperpuissants, des Occidentaux considèrent que l’Occident serait menacé, économiquement, démographiquement et stratégiquement. La mondialisation de l’insécurité, en particulier, au lieu d’être analysée est perçue le plus souvent au niveau de ses effets et non des causes.

L’exemple de la politique aveugle d’Israël
Sur le plan interne à l’Europe, toutes les enquêtes le démontrent et les faits le prouvent: l’immense majorité des citoyens européens de confession musulmane respectent les lois et les règles de la vie en société, même si, citoyens à la culture plurielle, ils refusent la destruction de leur modèle anthropologique et de leurs références culturelles au nom de ce qu’ils sont. Alors qu’il est question de problèmes de justice, l’accent est aujourd’hui mis sur des questions vestimentaires, et des points culturels. Certes dénoncer objectivement l’extrémisme politico-religieux est légitime, ce n’est pas négligeable, tant la méconnaissance, les amalgames et la stigmatisation ont fait des ravages comme diversion. Le temps de l’unilatéralisme triomphant et arrogant n’est pas encore clos pour les puissants, malgré des signes de modération suite à l’arrivée du nouveau président américain. Nous sommes loin d’une réelle remise en cause du système faustien. Les résistances sont faibles et éparpillées. La stratégie de certains puissants est de cristalliser des lignes de clivage interdisant l’expression de la différence fondamentale, celle entre l’ordre mondial inique dominant et les peuples qui se veulent libres.
Il n’y a qu’à voir comment Israël, la tête de pont de ce système, colonise, discrimine, réprime et provoque, sans que le monde réagisse. Cette politique coloniale est révélatrice des contradictions de la crise de la modernité selon la logique mercantile.
Tout le monde sait que nous sommes dans une phase de l’histoire de l’Europe en train de se mondialiser. Quels sont les changements qui méritent une coopération accrue? Le premier facteur à avoir changé en l’espace, depuis mille ans, comme le remarquait déjà Ibn Khaldoun, est celui de la population. Depuis que l’espèce humaine s’est sédentarisée, la population a été multipliée par un facteur 1000.
L’essentiel de cet accroissement a eu lieu depuis le début de la révolution industrielle. Dans 30 ans, il y aura sept milliards d’habitants sur terre. Le système de consommation pratiqué par le monde économiquement développé, en l’occurrence l’Occident, pose problème pour lui-même et les autres. Tous les experts le reconnaissent depuis la deuxième moitié du XXe siècle, la consommation d’énergie primaire par habitant a été multipliée par trois.
La croissance économique du monde développé détruit la nature et réduit les possibilités d’un épanouissement équilibré. Question: allons-nous pouvoir continuer ainsi? Notamment pour les pays du Sud qui dépendent à 97% des ressources énergétiques. Selon des experts, à la vitesse croissante que le monde consomme les énergies fossiles, avec plus 2% d’augmentation par an, seront épuisées toutes les réserves trouvées, charbon compris, dans 50 ans.
Nous avons, au plus tard, vingt ans pour nous préparer à une autre vie, un autre système, c’est cela apparemment que l’Occident refuse de discuter, y compris au coeur de la crise financière mondiale. L’Occident, moteur de l’histoire mondiale actuelle, se renforcera s’il favorise le débat, le multilatéralisme et la consolidation du droit pour toutes les actions internationales et au sein des sociétés. Sa responsabilité est grande, sans en aucun cas lui faire endosser tous les reculs et toutes les impasses.
La pluralité de la résistance est le chemin valide, autour d’alliances objectives. «Tu ne me ressembles pas, mais nous allons nous défendre ensemble.» La résistance à la mondialisation des injustices, réside justement dans ce constat: nous sommes divers, et cependant, nous allons coopérer pour que le dialogue et le droit priment.
L’Algérie, de par sa position géostratégique et sa riche expérience, est un trait d’union entre l’Orient et l’Occident, le Nord et le Sud. C’est le travail commun, l’alliance autour de principes universels, qui est salutaire.

(*) Professeur en relations internationales
www.mustapha-cherif.net

Mustapha CHERIF (*)

Mauvais Orient, mauvais Occident

Mauvais Orient, mauvais Occident

Mustapha Cherif

Alors qu’il faut œuvrer pour la paix et l’amitié entre les peuples, sur le plan international, les conséquences de cinq événements marquent l’actualité brulante : la guerre contre Gaza, que les puissants de ce monde ont laissés faire, l’arrivée au pouvoir d’une droite voyou au gouvernement israélien, la reconduction contestée du président iranien, à la politique radicale et l’arrivée d’Obama avec son discours du Caire. Que peut-on dire pour l’avenir et déchiffrer ce nouveau visage des USA, qui se présente comme Janus, à double figure ? Il y a de quoi être inquiet, avec en plus un contexte de faillite des régimes arabes, de recul du droit et de convulsions du libéralisme sauvage. Le citoyen musulman, du monde entier, demande aux décideurs occidentaux d’être juste.

Pathétique diversion

Alors qu’il est question de justice, l’accent est aujourd’hui mis sur des questions vestimentaires, et des points culturels. Certes dénoncer l’islamophobie, d’une part, et l’intégrisme, d’autre part, ce n’est pas négligeable tant la méconnaissance, les amalgames et la stigmatisation ont fait des ravages comme diversion. Imaginer qu’actuellement des médias et des hommes politiques français au lieu de s’occuper des soucis de leurs concitoyens débattent, sans honte bue, de la tenue obscurantiste et rarissime en Europe et en Méditerranée, de la « burqua », et disent vouloir aider les musulmans à marcher vers la lumière, c’est ubuesque. La diversion cousue de fil blanc est pathétique, tragico-comique. Obama et l’Occident seront jugés sur la question politique du droit du peuple palestinien à vivre libre et indépendant. Les palestiniens, et derrière eux l’opinion publique internationale, refusent de rester colonisés, asservis, opprimés et promis à un bantoustan sans réelle souveraineté. Sans le règlement de cette question vitale la mondialisation de l’insécurité va s’aggraver et l’horizon restera fermé. Ce n’est pas les régimes arabes qui vont seuls régler la question de la stabilité.Il faut dialoguer.

De la question palestinienne dépend l’avenir de la démocratie dans le monde, tous les peuples sont concernés. Comme hier durant la deuxième mondiale au sujet des juifs victimes de l’innommable, aujourd’hui Nous sommes tous palestiniens est le mot d’ordre secret ou déclaré de centaines de millions de citoyens à travers le monde, y compris des juifs et des israéliens. Cela inquiète nombres d’officines étrangères. Les peuples ne sont pas dupes, ils voient bien qui colonise, réprime, bafoue le droit, la liberté et la dignité des gens, même si en même temps ils condamnent aussi les réactions aveugles. Le discours du président américain, Barack Obama est paradoxal. Il redonne apparemment de l’espoir, mais ses limites, ses non –dits et ses contradictions sont hautement significatifs de la difficulté à changer la situation. Il suffit de voir comment le premier ministre israélien se moque du monde dans son dernier discours en posant cyniquement des conditions humiliantes et impossibles, comment le MAE israélien extrémiste est reçu à Washington et la manière dont la secrétaire d’Etat Clinton ménage « l’allié privilégié ». Le mutisme, encore une fois, et plus encore la complicité et la duplicité d’occidentaux face à l’arrogance des décideurs israéliens désespèrent les plus patients, qui savent qu’à terme tout le monde sera perdant. Qui en prendra conscience ?

La mondialisation de l’insécurité

Un début d’espérance, le discours du Caire, comme nous l’avons déjà souligné, montre que le président américain actuel et son équipe ont compris que l’islamophobie est contre productive et participe à la mondialisation de l’insécurité. Mais ils ne semblent pas avoir compris que ce qui est revendiqué est la justice. Ils ne tirent pas la conclusion que les causes de l’insécurité sont les injustices. La réaction aveugle est injustifiable, mais il faut en cerner les causes. La colonisation féroce en Palestine, on ne le répétera jamais assez, transforme le monde en poudrière. Même si tout est lié, Obama, dans une démarche qui apparaît de diversion, en insistant sur la religion dilue la question centrale, celle de l’occupation de la Palestine. Sur un discours de plusieurs milliers de mot deux phrases en 19 mots liquident la question de la guerre de Gaza, qui a fait 1300 morts dont la majorité des femmes et des enfants. L’impression première à la lecture du discours est celle de l’équilibre entre juifs et palestiniens, mais à bien lire on découvre une politique pernicieuse : Obama envoie un message pour rassurer les israéliens, il ne condamne jamais la colonisation exponentielle et les violences qu’ils commettent à ciel ouvert. A peine s’ils les regrettent, alors que le droit international est irréfragable.

Plus dure sera la chute

Il faut rester vigilants, plus que jamais, car sur le fond rien n’a encore changé. Certes, sur la forme, c’est une ouverture qu’il ne faut pas rater. D’autant que, si sur le fond c’est un mensonge grossier qui court, la vérité, à l’épreuve des faits, le rattrapera vite. On doit contribuer à favoriser le changement vers la démocratisation des  relations internationales et la logique du choc en celle de la symbiose, si on arrive à changer de l’intérieur. Apparemment, ce n’est pas le cas, d’autant que le régime voyou d’Israël et obscur d’Iran, qui s’alimentent, risquent de précipiter le monde vers l’irréparable. Le quotidien israélien Haaretz du 14 juin, explique que la victoire d’Ahmadinejad est ce qu’il y a de mieux pour Israël. Les mots aimables,   et les actions de publiques relations occidentales en direction du monde musulman, commencent à trouver leurs limites. Il faut relancer le dialogue euro-arabe, notamment culturel. Faute de règlement définitif et juste de la question palestinienne, et partant du rapport entre le Nord et le Sud, une guerre de mille ans, se profile entre un mauvais Orient et un mauvais Occident. Inutile de se voiler la face.

Depuis des décennies, les êtres de bonne volonté tentent de réfuter la propagande de la confrontation nuisible pour tous, de bâtir des ponts, de dialoguer, de retrouver l’amitié judéo-arabe et islamo-chrétienne et de rappeler qu’il n’ y a pas de paix sans justice, mais l’aveuglement des décideurs israéliens, de puissants de ce monde et des extrémistes de tous bords ruinent l’humanité actuelle. Il faut choisir : le droit à l’autodétermination des palestiniens ou le chaos. Les USA et l’Europe assument une  responsabilité. Si Barak Obama et les européens ne font que du « cinéma » pour tenter de calmer le monde musulman et asseoir l’hégémonie américano sioniste, l’avenir est sombre. Si par contre, dans l’intérêt général, comme il l’a souligné au Caire, ils font vraiment pression sur les israéliens pour stopper les colonies et démanteler celles qui gangrènent les territoires palestiniens, le monde pourra réinventer une nouvelle civilisation. A cette condition aussi, les extrémistes de tous bords verront leur fond de commerce se tarir, et le régime iranien se retrouvera sans prétexte.

Ce qui se passe en ce moment en Iran, peuple à la civilisation millénaire, avec une protesta populaire déterminée, qui a obligé Khamenei le « guide de leur « révolution »  à monter au créneau, montre que les fissures sont profondes et que tout n’est pas perdu dans le monde musulman qui n’a pas tiré la leçon de la fin tragique du régime irakien et de son chef. Les régimes arabo-musulmans sont souvent coupés de leur peuple. Leurs relais sont artificiels, ou fondés sur la répression. Le moindre mal pour ces pays serait une sorte de despotisme éclairé, dans l’attente d’une culture de la démocratie. Mais même ce « despotisme éclairé » n’existe pas, car les potentats refusent tout changement, marginalisent les élites, ne dialoguent pas et règnent par la violence, en méprisant toutes les formes d’intelligence. Plus dure sera la chute.

MC est président du Forum des Intellectuels Algériens

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La terre de vos ancêtres

LE BILAN DU VOYAGE DU PAPE
La terre de vos ancêtres
21 Mai 2009

Le pape, avec finesse, a mis fin au malentendu avec les musulmans qu’il a suscité en septembre 2006

Ce fut un voyage riche d’enseignement. Durant le voyage spirituel et politique en «Terres Saintes», risqué, notamment à cause de l’arrivée du nouveau gouvernement d’extrême droite en Israél, l’aggravation de la situation dans les territoires occupés et le regain du radicalisme, le pape a été exemplaire, agissant selon sa conscience, ne cédant à aucune pression ou chantage des sionistes. Tout le monde était inquiet, vu les enjeux et il a surpris le monde entier par son sens de l’équité, de la justesse et du courage. En tant que pèlerin et homme de paix, il a mis l’accent sur la réconciliation avec les Juifs et sa condamnation de toute forme de négationnisme. Au niveau du dialogue interreligieux, le pape, avec finesse, a mis fin au malentendu avec les musulmans qu’il a suscité en septembre 2006 lors de sa conférence de Ratisbonne. Le prince Ghazi en Jordanie lui a rendu un vibrant hommage bien mérité.

Respect de l’Islam
Dans son discours au sein de la Mosquée Hussein et du dôme du Rocher à Jérusalem, El Qods Echarif, le pape a encore exprimé son respect pour l’Islam. Sur le plan intellectuel, il ne définit plus la raison comme seule source de vérité, mais une raison humble qui doit se laisser éclairer par la foi, pour s’exercer pleinement. Sa critique s’adresse aux dérives de ceux qui manipulent la religion et non point à la religion elle même: «La manipulation idéologique de la religion parfois à des fins politiques». Il a appelé «musulmans et chrétiens» à témoigner par leur «cohérence» dans les sociétés sécularisées pour «être connus et reconnus comme des adorateurs de Dieu».
La question de la violence n’est plus perçue comme intrinsèque à telle ou telle religion mais liée aux manipulations. Sur le plan de la justice, même s’il n’a pas prononcé le mot colonisation, il a affirmé aux colonisés palestiniens, nos frères chrétiens et musulmans «le droit à une patrie palestinienne souveraine sur la terre de vos ancêtres».
Le pape a dit clairement ce que les Palestiniens voulaient entendre: «M. le Président, le Saint-Siège soutient le droit de votre peuple à une patrie palestinienne souveraine sur la terre de vos ancêtres, sûre et en paix avec ses voisins, à l’intérieur de frontières internationalement reconnues». Il a rappelé les paroles prononcées par son prédécesseur Jean-Paul II lors de la visite de ce dernier en Terre Sainte en 2000: «Il ne peut y avoir de paix sans justice, et de justice sans pardon». Est-ce suffisant pour faire reculer l’oppression et stopper la colonisation? Hélas! non, mais ce sont des paroles nécessaires, le minimum vital.
De son côté, le président palestinien a rappelé les graves difficultés et crimes que connaît son peuple, composé de musulmans et de dizaines de milliers de chrétiens: «Sur cette Terre Sainte, il y a ceux qui continuent à bâtir des murs de séparation plutôt que des ponts, et qui tentent avec leurs forces d’occupation d’obliger chrétiens et musulmans à quitter le pays, afin que les Lieux Saints deviennent de simples sites archéologiques plutôt que des lieux vivants de prière», a-t-il déclaré.
Cette déclaration sera-t-elle entendue un jour par les puissants de ce monde? Qui va comprendre, comme le dit le Palestinien que l’on «exerce contre tous les citoyens arabes, qu’ils soient chrétiens ou musulmans, toutes les formes possibles d’oppression, de tyrannie et d’expropriation de terres»? Faire pression sur Israël est possible pour tenter de mettre fin à l’occupation, aux barrages, aux murs, aux prisonniers politiques, et aux réfugiés. Car qui peut nier que: «Jérusalem (…) est entourée d’un mur d’apartheid qui empêche le peuple de vivre librement, à Ghaza, en Cisjordanie, de se rendre à l’église du Saint-Sépulcre et à la mosquée Al Aqsa». L’injustice a trop duré, personne n’y gagne, ni les Juifs, ni l’Occident.

Passer aux actes
Ce que le pape a dit en Palestine ne sont pas de simples paroles ni de voeux pieux mais un témoignage qui interpelle les consciences et les décideurs occidentaux qui renvoient trop souvent dos à dos le colonisé et le colonisateur, pour ne pas dire pire. Certes le gouvernement israélien fascisant risque de redoubler de férocité et continuer la colonisation inhumaine.
Mais, la falsification des mots, le détournement de sens et l’air du temps n’ébranlent pas l’immense majorité des citoyens du monde qui sont attachés au vivre ensemble, en sachant, comme Benoît XVI, qu’il n’y a pas de paix sans justice. Le pape parle de deux États, de deux peuples et de paix pour tous. Ce n’est point un simple rappel des positions du Vatican. Il a parlé «de terres de vos ancêtres» en s’adressant aux Palestiniens, c’est exceptionnel, clair et objectif, et a qualifié le mur de la honte de «tragédie» et a ajouté: «Une de mes plus tristes images au cours de ma visite sur ces terres a été le mur.» Dans son dernier discours, il a encore réaffirmé le droit du peuple palestinien: «Le peuple palestinien a le droit à une patrie souveraine et indépendante, de vivre avec dignité et de se déplacer librement. Que la solution de deux États devienne une réalité, et ne reste pas un rêve.» Nous sommes dans le politique au sens noble avec Benoît XVI et non dans la position partisane, le dogme et les euphémismes. Cela devrait encourager Barack Obama et les puissants de ce monde à passer des paroles aux actes pour bâtir la paix au Moyen-Orient dont dépend la sécurité du monde.
Lors de cette visite spirituelle et politique, un cheikh musulman palestinien, non prévu par le protocole, a dit publiquement en présence du pape, la vérité sur la souffrance des Palestiniens sous l’occupation israélienne, au cours d’une rencontre à Jérusalem pour promouvoir le dialogue. Certains s’imaginaient que toute l’assistance allait seulement parler «d’amour» et de «dialogue» en ignorant la dure réalité.
Ces déclarations, selon une certaine presse occidentale et sioniste, auraient provoqué une réaction irritée du Vatican. Comment serait-il possible qu’un cri du coeur d’un opprimé sur la tragique réalité puisse irriter? En vérité, c’est seulement le fait que sur la forme, ce discours non prévu était long et inattendu. Cheikh Tayssir al-Tamimi, président de la Cour suprême palestinienne est membre du Forum islamo-catholique, personnalité modérée, n’a pas exagéré en prenant la parole. Il a demandé au pape de faire «pression sur le gouvernement israélien pour qu’il mette fin à son agression contre le peuple palestinien». Est-ce trop demander? Le cheikh a appelé chrétiens et musulmans à agir ensemble contre l’occupation israélienne, à tout le moins à «condamner les crimes» israéliens comme ceux commis durant la guerre israélienne dans la bande de Ghaza.
Le dignitaire a proclamé devant ce forum Jérusalem-Est «capitale éternelle, politique, nationale et spirituelle de la Palestine», contrairement à la position d’Israël qui a annexé toute la partie orientale de la Ville Sainte après sa conquête en 1967 et proclamé Jérusalem «capitale éternelle d’Israël».

La colonisation doit cesser
Le problème est bien là: il faut sortir de la loi inique du plus fort et mettre en oeuvre la solution juste et équitable pour les deux peuples: deux Etats. Les responsables palestiniens, chrétiens et musulmans, qui subissent l’oppression, savent qu’Israël tente de faire taire toute voix dénonçant l’occupation. La dernière en date est la fermeture du centre de presse palestinien ouvert à Jérusalem pour la visite du pape. Cette fermeture est «une tentative de faire taire la voix palestinienne qui dit au monde que Jérusalem est occupée», a affirmé le mufti de Jérusalem. La suite de la visite du pape est un test pour tous les citoyens du monde épris de justice et qui savent que l’extrémisme se nourrit de l’injustice. Le pape qui a parlé selon sa conscience ne peut que dire à son tour que la colonisation doit cesser.
Le peuple privé de ses droits est le peuple palestinien, qui n’a pas d’Etat, ni de souveraineté et de liberté à cause du régime israélien colonialiste. Le pape a bien compris que des réactions aveugles de jeunes Palestiniens face à l’oppression sont les effets du désespoir et les a appelés à l’espérance. C’est une manière franche d’appeler chacun à corriger ses points d’aveuglement. Le pape ne confond pas les causes et les effets. Il réfute avec sagesse l’injustice et la hiérarchisation des peuples, expression de l’idéologie de l’exclusion. Avec tous, par ce voyage qui fera date, il a tenu le langage du respect et de la franchise. D’innombrables Juifs, croyants et non-croyants ne peuvent qu’approuver, d’autant que la plupart d’entre eux, à juste titre, refusent que des lobbys et le régime israélien parlent en leur nom. Tout comme, en tant que musulmans, nous refusons que les extrémistes politico-religieux et des régimes arabes archaïques parlent en notre nom.
La solution est la réforme du monde arabe pour sortir de la situation de victime. Les êtres justes en Palestine rêvent d’une nouvelle Andalousie où personne ne monopolise la vérité. Benoît XVI, qui, depuis le début de son pontificat a inquiété des croyants, des progressistes et des humanistes, et même s’il ne dispose pas des moyens des grandes puissances, redonne de l’espoir à ceux qui savent que le devenir est commun ou ne sera pas. Les Palestiniens sur la terre de leurs ancêtres sont à l’avant-poste du combat contre la barbarie. Reste à ce qu’ils évitent les pièges, sortent des réactions aveugles et des divisions.

(*) Professeur en relations internationales
www.mustapha-cherif.net