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Lu

Lu dans El Watan

le 13.12.12 |

Publication. Le Coran et notre temps de Mustapha Chérif

Immersion dans la pensée musulmane

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Nouvel essai de Mustapha Chérif, ancien ministre, professeur à l’Université d’Alger et spécialiste de la civilisation musulmane et du dialogue des cultures.

S’appuyant sur une démarche académique empruntant aux sciences sociales pluridisciplinaires les méthodes scientifiques les plus éprouvées, l’auteur invite le lecteur musulman et non-musulman à une immersion dans la pensée musulmane et à une lecture «ijtihadiste» du Coran, loin des dogmes et de la compréhension rigide et ritualiste des tenants de l’orthodoxie musulmane portée par le courant salafiste. Le propos est d’actualité et l’auteur n’a pas manqué d’ailleurs dans le préambule de planter le décor, affirmant que «l’image de l’Islam est méconnue et se trouve au cœur de problèmes et d’enjeux qui secouent le monde».

Surtout, précise-t-il, depuis la chute du mur de Berlin et les attentats du 11 septembre 2001. «Il est impérieux de travailler à une lecture et à une présentation du Coran qui répondent aux exigences des temps contemporains», souligne l’universitaire. Tout au long de son essai de 366 pages, paru aux éditions ANEP, Mustapha Chérif se fera le fervent défenseur de l’ijtihad (interprétation) quant à la lecture et l’exégèse du Coran. A la présentation linéaire et figée dans le temps et l’espace de certains penseurs musulmans autoproclamés gardiens de l’authenticité du message coranique, l’auteur oppose une lecture audacieuse du Livre Saint, fondée sur une analyste structuraliste qui ne fait pas dire autre chose au Coran que ce qui est véhiculé par la Parole révélée. Rien de plus, rien de moins.

Mustapha Chérif défend, dans cet essai, l’idée d’un Islam, religion d’ouverture et de tolérance qui concilie authenticité et progrès, foi et raison , temporel et spirituel comme il l’a fait du reste dans tous ses autres ouvrages et dans ses positions et déclarations publiques sur l’universalité du Livre Saint, autant que sur son intemporalité. «En tant que Message pour une grande partie, le Coran a une ligne directrice, des aspects clairs, permanents, valables en tout temps et lieu. En même temps, il véhicule parfois des informations que nous pouvons appréhender différemment d’un lecteur à l’autre, d’une époque à l’autre, selon le contexte et à la mesure de la compréhension de chacun», argumente l’auteur, qui renvoie dos à dos le «courant de la tradition fermée» et le «courant dit moderniste qui impute à l’Islam les dérives extrémistes commises en son nom».  «L’Islam se veut Orient et Occident, favorable au progrès, au vivre ensemble et à la diversité», relève l’universitaire.

Pour mieux comprendre la profondeur du Message coranique, Mustapha Chérif invite les lecteurs à découvrir le processus historique de la révélation du Message divin depuis la «descente» des premières sourates, en s’arrêtant sur les périodes charnières de la collecte et de l’authentification des versets par les différentes chevilles ouvrières que furent d’abord le prophète Mohamed (QSSSL), et ensuite les différents califes qui ont patiemment rassemblé, sauvegardé les matériaux sacrés sous forme d’écrits immortalisés sur des feuilles de palmiers, des omoplates de chameaux et sur des pierres plates, avant d’être envoyés à l’édition avec l’avènement de la Révolution industrielle et de l’imprimerie.

Dans son essai, l’auteur se livre à une analyse de certains versets et sourates qu’il considère comme fondatrices de la dimension infinie, inimitable, universelle du Coran. Tout comme il s’efforce de dépeindre le portait du bon musulman à la lumière de la pratique religieuse puisée de l’observation des cinq piliers de l’Islam, dont il dissèque avec un grand souci didactique le sens profond et le message authentique prôné par le Livre Saint.

O.B

La culture du vivre ensemble en toute équité: le couple face à la crise morale

Le couple face à la crise morale

L’équité

Par Mustapha Cherif

Contrairement aux préjugés et pratiques archaïques, la civilisation musulmane et la culture arabe honorent la femme. Au sujet de la cellule familiale, du rapport entre l’homme et la femme, Le premier point essentiel a trait à l’égalité et l’équité entre l’homme et la femme. Le passage de l’époque préislamique à celle qui commence avec la Révélation est un changement radical qui améliore nettement le statut humain et social de la femme. Contrairement à une idée répandue, l’islam voit clairement d’abord la question sous l’angle éthique de l’égalité de la femme et de l’homme.

Ontologiquement, la femme en islam est l’égale de l’homme, même si, à ce sujet, la version musulmane n’est pas celle du féminisme extrémiste et du libéralisme sauvage. Le concept-clef qui fonde l’égalité est celui d’humains, al-nâs en arabe, terme cité trente-quatre fois par le Coran. Contrairement aux interprétations qui restreignent ce terme aux seuls hommes, il souligne l’égalité et la complémentarité. Il préconise, entre les deux sexes, un partage dans la réciprocité et la cohérence.

La sourate « Les Femmes » est claire : « Humains, prémunissez- vous envers votre Seigneur. Il vous a créés d’une âme unique, dont il tira pour celle-ci une épouse ; et de l’une et l’autre, Il a répandu des hommes en nombre et des femmes. Prémunissez-vous envers Dieu, de qui vous vous réclamez dans votre mutuelle sollicitation et aussi envers les matrices. En vérité, Dieu vous observe en permanence ! » (4 : 1).

C’est le propos premier, principal. L’accent est mis sur l’idée selon laquelle la vérité de l’existence est à chercher dans l’origine et le devenir communs, dans l’égalité, la relation, l’union, non pas chez l’un ou chez l’autre, pas plus que dans la domination, la séparation ou l’opposition.

L’égalité face à Dieu est signifiée sous des formes diverses tout le long du Coran. Revenir à la source des textes religieux pour ériger une théorie coranique de l’égalité des genres est possible. Le Coran et la Sunna s’adressent autant à l’homme qu’a la femme. Preuve de l’égalité, l’ensemble du discours coranique s’adresse à la fois aux hommes et aux femmes, en utilisant le masculin et le féminin : « Ô croyants, ô croyantes ! », dans tous les sens du terme.

En langue arabe, il n’est pourtant pas nécessaire d’utiliser le masculin et le féminin pour faire référence aux deux sexes. Cependant, afin qu’il soit clair que l’adresse soit autant en direction des deux genres, le texte sacré utilise le féminin et le masculin. Cette précision indique que le Message de lislam concerne les hommes et les femmes.

C’est une révolution par rapport à toutes les autres traditions religieuses et culturelles : «Les musulmans et les musulmanes, les croyants et les croyantes, les hommes pieux et les femmes pieuses, les hommes sincères et les femmes sincères, les hommes patients et les femmes patientes, ceux et celles qui craignent Dieu, ceux et celles qui pratiquent la charité, ceux et celles qui observent le jeûne, ceux et celles qui sont chastes, ceux et celles qui invoquent souvent le Nom du Seigneur, à tous et à toutes Dieu a réservé Son pardon et une magnifique récompense » (33 : 35).

Comme le reconnaissent même ses opposants, le Prophète a toujours eu un comportement exemplaire, profondément humain et respectueux de ses épouses et des femmes en général. Il leur accordait de la considération. Il n’a jamais por la main sur l’une d’elles, ni utilisé contre quiconque la moindre violence. A chaque occasion, il rendait hommage aux femmes et leur confiait des responsabilités de premier plan.

Le Prophète se souciait de la condition de la femme et de la structure du vivre- ensemble, qui nécessite de dépasser les différences, sans pour autant les nier. L’égalité, l’équité et la complémentarité sont au fondement de la relation homme-femme signifiée par le Coran et le Prophète : « Quiconque, homme ou femme, aura fait le bien tout en étant croyant, Nous lui assurerons une vie heureuse. Et Nous les récompenserons en fonction des meilleures de leurs œuvres » (16 : 97). La femme est l’autre, mais elle est aussi le même. Comme pour l’homme, elle est celle à qui l’on parle et qui a le droit à la parole.

Il ne peut y avoir une hiérarchie ou supériorité injuste de l’un sur l’autre, mais un rapport de respect, de complémentarité et d’interdépendance. L’homme et la femme, selon l’expression coranique, sont le vêtement de l’un et de l’autre, même si le mystère de la relation femme- homme reste entier, que l’homme est mis face à ses prérogatives d’époux pour assumer et subvenir obligatoirement aux besoins de sa famille, et qu’en matière de prise de décision dans les affaires familiales, la responsabilité finale, après consultation de l’épouse, incombe à l’homme.

Sans le regard de l’autre, la comparaison à d’autres, il est difficile de pratiquer l’autocritique et de progresser. Cependant, le discours dominant aujourd’hui, dans le monde, empêche de comprendre que les valeurs de chacun ne sont pas les seules possibles, que d’autres références, d’autres systèmes de pensée ont permis et permettent encore à des sociétés humaines, de s’épanouir, voire d’articuler les aspects essentiels de la vie. Le monde qui prévaut, certes fort de ses acquis scientifiques, a tort de ne voir dans les religions et les cultures des autres, que superstition, fiction et arriération, alors qu’elles ont su et savent encore réaliser entre l’homme et le monde, entre l’homme et les autres un équilibre, que la tendance générale ne sait plus réaliser.

La famille, qui était le lieu de l’humanisation, de la régénérescence et de la sociabilité, subit les domaines angoissant des conflits, des violences, des ambivalences et des confusions : confusion entre le proche et le lointain, le vrai et le faux, le bon et le mauvais, confusion qui est une dépendance aussi bien à la mauvaise mère ou au mauvais père (trop d’interdits, trop d’absence, trop de séparation, trop de frustration, trop de douleur) qu’à la trop bonne mère et au trop bon père (fusion, trop de présence, trop de laxisme et de permissivité).

Tout se passe, faute de politique et de culture éclairées, comme si la fonction paternelle, la norme éthique, qui régule, n’était pas comprise et appliquée, ou à tout le moins mal régulée ; comme si les hommes d’aujourd’hui, tels ces enfants qui transgressent pour qu’on leur fixe des limites, s’abandonnent à une démission ou satisfaction pulsionnelle illimitée, mais aussi à des états de violence, de désespoir et de solitude sans nom, préludes au suicide. Les jeunes, qui se livrent aux excès, souvent les donnent à voir dans l’espoir de provoquer une réaction, une réponse. Ils attendent secrètement qu’une régulation émane d’un ordre supérieur

Les hommes d’aujourd’hui commettent des transgressions de manière plus sauvage que par le passé et sombrent dans les excès. En réinventons un rapport juste et équilibré entre le féminin et le masculin, entre le père et la mère, entre les générations, il sera possible de faire face aux défis de notre temps. Gardons nous d’imiter des modèles inadaptées à notre ligne du juste milieu.

Pour le Prophète, l’altérité féminine est la plus belle, la plus profonde et la plus secrète des altérités, qu’il faut respecter et estimer. Si la femme n’est pas un homme, elle est et demeure humaine, à l’opposé des extrémistes religieux qui valorisent la femme.

Il y a lieu, à ce niveau, de garder le cap sur la ligne médiane : ni enfermer, cacher et obscurcir la femme, ni l’exposer dans un exhibitionnisme humiliant. Garder la mesure est la ligne de conduite. Au Paradis, le voile de lumière, nous dit la tradition, séparait Adam et Eve de la vue de leur corps; lorsqu’ils mangèrent du fruit interdit, ils découvrirent leur nudité, en même temps que leur apparut la nécessité de porter un vêtement, premier sentiment de pudeur.

« Etre le vêtement l’un de l’autre » (verset) est l’une des plus belles paraboles du Coran qui marque le devenir commun. Chacun doit préserver l’intimité de l’autre, se porter assistance et tendresse. La société n’a pas besoin de brutalité, mais de douceur.

Mustapha Cherif

La culture de la paix

La culture de la paix

Le vivre ensemble juste

Par Mustapha Cherif

Ecrire, creer de l’art, ou jeuner c’est se mettre en état de paix. A celui qui peut nous importuner nous devons paisiblement répondre : « je jeûne ». Le concept de Paix en Islam est central, en plus d’être un des beaux noms de Dieu, Salam, dont l’importance est au moins égale à celui de Rahman, le Miséricordieux. C’est une culture de la paix à laquelle appelle, en premier lieu, le Ramadhan. Ce concept est directement lié au vivre ensemble. Dans ce sens, la paix exige une reconnaissance de l’autre. Tout en précisant qu’il n’y a pas de paix sans justice. L’acte qui traduit cette orientation est celui du partage, qui doit s’effectuer de manière raisonnable. Accueillir la différence, à titre personnel, dans la relation humaine, doit se faire dans la plus grande des ouvertures. L’hospitalité est une vertu.

La responsabilité du musulman

Le concept de paix en Islam dépasse tous les autres: il est religieux, humain et culturel et au-delà. Les qualités du croyant, généreux, hospitalier, bon, convergent toutes dans le sens d’instaurer la paix vis-à-vis de soi, de l’autre et du monde. La Constitution de Médine mise en place par le Prophète reflète le concept de paix et celui de l’accueil de la différence.

Ce qui définit en priorité l’identité des êtres dans la Cité n’est pas la confession, le culte ou la religion, mais la citoyenneté. En effet, la sécularité et les droits humains y sont affirmés. En Islam, le ciel n’écrase pas la terre: l’homme n’est pas ligoté de mille liens. La révélation laisse ouverts des espaces où la responsabilité du musulman peut et doit s’affirmer. Chacun de nous doit faire son examen de conscience.

A l’heure de la crise du comportement et de l’affaiblissement du lien social, rechercher des formes de solidarité et de cohabitation est un souci incontournable. La cohabitation entre citoyens est fondée sur bien plus qu’une simple tolérance. Parfois, les aléas de l’Histoire ont compromis ces intentions et dénaturé ces références. La responsabilité en incombe aux hommes et non pas au Texte ni à son Messager. La conduite du musulman, notamment durant le Ramadhan, au lieu de tomber dans des travers, devrait être façonnée par le concept de justice. L’insistance du Coran sur ce thème, son orientation constante, qui est de mettre l’accent sur la justice, sur l’équité, sur l’égalité, rendent les musulmans extrêmement sensibles à ces dimensions qui apparaissent comme premières dans les relations sociales.

Le caractère, l’esprit, le comportement des musulmans ne peuvent être que profondément marqués par l’impératif de justice. Un musulman n’est pleinement croyant que s’il applique la justice et l’équité. Etre un homme juste, voilà une donnée coranique d’une importance majeure. En droit, le monde de l’Islam est censé être le monde de la justice: Islam et justice sont théoriquement synonymes. La justice, selon le Coran, est participative de la piété: «La justice est proche de la piété.» Le Coran précise encore: «Dis: mon Seigneur prescrit l’équité», et encore: «Vous qui croyez, témoignez de l’équité: que la rancune contre un autre peuple ne vous vaille pas de tomber dans l’injustice. Soyez justes.»

Reste à mesurer la distance qui sépare ce principe de l’exercice de la justice dans la pratique quotidienne, et à rechercher les causes réelles des dérives. Le Coran s’adresse à l’humanité; la dernière Sourate répète cinq fois le concept d’humanité, les gens, les êtres. La Révélation vise les gens dans leur ensemble. Ce qui peut pose problème en ces temps modernes, c’est la question de la justice. Nous n’avons jamais à nous opposer à la différence, mais à l’injustice. Pour le Coran, chacun est responsable de ses actes. Personne ne peut se targuer de l’irresponsabilité ou de l’inconscience, même s’il y a une part de mystère ou d’inconnu dans tout rapport et prise de décision qui nous engage avec l’autre. Pour la plupart des thèmes et questions, le Coran facilite la prise en compte de la variété des situations et permet, exige de réfléchir, de discerner, de s’adapter et d’évoluer. Ses prescriptions favorisent les conditions du vivre ensemble juste, du changement et des métamorphoses et soutiennent l’humain pour distinguer le juste de l’injuste, le licite de l’illicite et d’assumer le civisme.

L’ijtihâd

Depuis trois siècles environ, les sociétés musulmanes troublées, paralysées par la marginalisation de la pensée, et du savoir, perturbées par des problèmes internes de développement et par la trajectoire problématique de notre époque qui agresse et se mondialise, ont des difficultés à interpréter. La question de l’ijtihad est au centre des enjeux. Si on veut progresser, se développer, il faut raisonner, s’instruire et éduquer.

Toute vérité, y compris La vérité révélée, est compréhensible si l’on raisonne, dans une trame où se nouent et se tissent le clair et le moins clair, l’évident et l’ambigu, entre les lignes aussi. Vérité que l’on ne peut pas assener d’un bloc, mais la signifier progressivement. L’ijtihad est au cœur de la pensée. Il s’agit de s’ouvrir, dialoguer et de vérifier que la culture peut favoriser l’aptitude à responsabiliser, humaniser et innover. Il est primordial d’adapter l’ijtihad aux circonstances liées à la vie moderne. Pour ce faire, nous devons préciser le sens de l’ijtihâd contemporain.

Non pas celui qui s’enferme ou au contraire s’accommode de l’époque, qui se plie aux exigences du matérialisme, et en vient à reconsidérer sa tradition pour l’appliquer coûte que coûte à la réalité variable, mais surtout celui qui respecte l’esprit humain. Il faut discerner les aspects positifs des aspects négatifs de chaque temps et réinventer une culture vivante et humaine. Il ne fait aucun doute que les hommes ne doivent pas tourner le dos au monde.

Force est de souligner que l’ijtihâd auquel tout être raisonnable aspire n’est pas celui qui cherche à tourner le dos à son époque, ou au contraire à tout prix vouloir se conformer à son époque. Il y a du clair et de l’obscur dans toutes époques. Nous entendons plutôt par ijtihad celui qui se veut créatif, fidèle et novateur en même temps.

Ni fermeture, ni dilution. Un moujtahid est un rénovateur, un porte-parole savant des intérêts de son peuple et qui veille à la préservation scrupuleuse de ses racines, de ses intérêts et aspirations, et qui répond aux besoins culturels des gens, en leur balisant la voie vers l’avenir, une vie ouverte, équilibrée, responsable et digne. Pour l’islam, contrairement aux discours des extrémistes, c’est non seulement possible, mais vital.

L’exégèse admise est fondée sur une connaissance suffisante des règles scientifiques, linguistiques, éthiques et fondamentales du savoir et des valeurs propres. Toute interprétation, doit faciliter et non compliquer. Elle ne contredit pas une raison saine, ni bafoue une science certaine fermement établie. Tout en faisant les efforts possibles de recherche et de réflexion, poussant à la déconstruction, la recherche de la vérité et de l’opinion juste, le détachement de soi, des passions et des préférences non étayées par des arguments.

Le savant, l’intellectuel, doit défendre l’intérêt général, s’appuyer sur la raison pour chercher le bien commun et ce, pour que nous puissions cerner notre époque, comprendre les problèmes, les questions qui y font jour et prendre conscience de ses risques et exigences. Cette démarche permet de nous pencher sur les nouveaux contextes pour les soumettre à l’analyse avec un esprit ouvert et perspicace. La réflexion représente une version vigilante de l’humain qui a fait ses preuves. Reste à sortir des instrumentalisations et superficialités. L’ijtihâd, mot générique, désigne donc le principe de réflexion libre et responsable exigé aux intellectuels compétents afin qu’ils participent au travail de rénovation et d’invention de nouveaux concepts et de nouvelles pratiques, et d’interprétation du noble discours coranique et de la Sunna prophétique éclairante. Cet aspect fait de l’ijtihâd une possibilité ouverte à toute évolution et adaptée aux intérêts des individus et des sociétés, s’accommodant de tous les temps et de tous les lieux.

L’ijtihâd, ou tajdid, est cet acte du renouveau qui distingue entre les opportunités et les incertitudes, entre ce qui fait obstacle et ce qui permet le progrès. Il faut non seulement assumer les changements mais les susciter pour maîtriser l’époque, dans l’intérêt général de la société, afin de préserver son équilibre et sa stabilité et renforcer son attachement au sens de l’ouvert et de la civilisation.

L’ijtihad est efficace, utile et agissant sur la vie de la société islamique, s’il est pratiqué dans la transparence, le respect des valeurs communes, qu’il prenne en compte la mémoire commune et le respect de la dignité humaine. C’est cela ce qui est valable en tout temps et en tout lieux. Car l’Islam est venu édifier la communauté médiane, de juste milieu, équilibrer, en vue d’humaniser, de libérer et non point asservir l’humain, ou le déshumaniser. L’Algérie a depuis des siècles été une Terre de l’ijtihad. En éduquant et en cultivant, nous préparons l’avenir. Ecrire, dialoguer et/ou jeuner c’est assumer avec vigilance et sagesse le vivre ensemble juste face aux défis de l’heure. L’école, la famille, les médias doivent contribuer à propager la culture de la paix.

M.C

Ibn Rochd et la raison

Un penseur universel

Ibn Rochd et la raison

Par Mustapha Cherif

Le monde en voie de développement, plus que jamais, a besoin de raison, de science, d’objectivité, pour progresser et faire face aux difficultés. Un immense penseur du XIIe siècle, Ibn Rochd-Averroès, qui a vécu en Andalousie à Cordoue, est considéré comme le symbole de la pensée rationnelle dans l’histoire de la civilisation musulmane. Il faut dire que le chemin emprunté par Ibn Rochd pour traiter de la question de la raison est singulièrement original. Il fut un des meilleurs avocats de la raison et a éclairé le monde par ses travaux. Le philosophe a traité du thème du rapport entre le savoir et l’éthique, entre morale et société, entre raison et sentiment. Cette approche est centrale.

Rien n’est donné d’avance

Le débat entre philosophie et subjectivité, spécificité et universalité, fait jaillir la question de la validité de la vérité universelle et celle de l’autonomie de la raison. Cette autonomie de la raison se réalise, pour Averroès, du fait de la nécessité de saisir objectivement les problèmes du monde. Abderrahmane Badawi, un des historiens de la vie et de l’œuvre Ibn Rochd-Averroès, précise que, pour étudier la question de la Cité juste chez notre philosophe, nous avons son commentaire de La République de Platon et celui de la Rhétorique d’Aristote. L’ouverture, pour Ibn Rochd, se réalise par le fait d’interpréter, d’une manière inconditionnellement rationnelle, une réalité où rien n’est donné d’avance.

Il ne s’agit pas de vouloir accorder pour accorder, ni de figer, mais de saisir et de maîtriser la tension entre les différentes dimensions du vivre ensemble où l’autre doit avoir une place éminente, sans qu’on en devienne pour autant l’otage. Cela suppose qu’il soit reconnu que la raison doit pouvoir s’exercer d’une manière inconditionnelle. Penser vrai se fonde sur cette inconditionnalité de la raison, même si l’éclairage du cœur, de l’intuition, a aussi pour but de participer de façon décisive à l’éclosion de l’être libre. De même, obéir à la loi morale universelle, aux principes des devoirs, c’est s’inscrire dans la liberté responsable. Il n’y a pas de liberté sans loi.

La relation sociale dans la Cité a retenu l’attention d’Ibn Rochd d’une manière singulière. Il voulu monter qu’il faut rationaliser les relations sociales. Il a précisé l’importance du lien entre l’individu et la société, le lien social: «L’homme a besoin de l’autre pour acquérir la vertu.» Pour Averroès, l’homme n’a pas la possibilité de percevoir directement la logique, il doit raisonner et s’ouvrir par l’intellect pour être d’abord en accord avec lui. Pour asseoir sa théorie, Averroès se servit de nombreux exemples relatifs au besoin de débat et de dialogue. Pour que l’être humain puisse saisir et voir en signes le sens de la vie, et qu’il puisse apprendre à vivre, il lui reste l’ouverture sur ce qui est. L’intellect passif et la fermeture sont, au contraire, nuisibles; ils constituent des obstacles à la réalisation de la vie.

Ibn Rochd démontre la nécessité du dialogue entre les individus, les peuples et les cultures, par-delà toutes les différences, avec, comme dénominateur commun, la raison, celle-ci devant être à la fois inconditionnelle et éclairée. Il recommande le raisonnement, en respectant le droit à la différence. L’originalité réside dans le fait que la raison fonde l’autonomie et la responsabilité. Elle oriente l’être humain en vue de l’amener à assumer ses responsabilités, de réaliser la justice. Elle permet d’assumer les changements, les transformations et les bouleversements produits par la marche du temps. Elle permet enfin d’accéder, autant que faire se peut, au sens plénier de la vie.

Cultiver le lien social

La nécessité de la culture du lien social, du civisme, est d’une importance capitale quand il s’agit de maîtriser et de dépasser les difficultés du vivre ensemble. Aux yeux d’ Ibn Rochd -Averroès, la raison est l’outil privilégié de cette réalisation, en tant qu’elle précède et détermine la communauté humaine. Avant toutes les déterminations temporelles ou subjectives, le raisonnement est le lien entre les singularités: je me dois de raisonner. Averroès sait que la raison distingue, mais n’oppose pas le subjectif à l’objectif, le sacré au profane, d’autant que le champ du sacré se limite à quelques lieux et symboles. Le but du penseur est de parvenir à une culture universelle de la raison qui habite toute adresse au monde. Cela fait signe à ce que nous appelons aujourd’hui la rationalité universelle.

Ibn Rochd a pensé la dimension du lien, de la jonction dont il décèle les potentialités. Dans sa vision de la société on constate une exigence d’ouverture sur l’autre, sur la base de la raison quand il s’agit de dépasser les tensions. Selon Ibn Rochd, la raison permet le recul, la distance et la nécessité de penser, mais encore il y voit un élément central dans le dessein de bâtir une société équilibrée. L’injonction que souligne Ibn Rochd, c’est celle de donner une réponse sans conditions préalables, qui ne soit soumise ni à quelque influence ni à quelque obligation de limite. La raison est cette réponse objective, nous dit le philosophe. Il faut répondre à soi-même, répondre au monde, répondre à l’autre. Quoi que nous disions, quoi que nous fassions, nous répondons au monde et nous répondons du monde: telle est notre responsabilité. Rien ne doit donc théoriquement conditionner notre attitude en face du monde, afin de faire du bien et dépasser la subjectivité.

Raisonner est une responsabilité, une marque d’inconditionnalité pour parvenir à la bonne gouvernance. Dans la fidélité à Ibn Rochd, on peut aujourd’hui affirmer qu’on ne comprendrait rien au monde si on confondait la raison et le cœur, le sens et la logique, le même et le différent. Opposer sans nuances, confondre sans retenue, voilà qui n’est pas objectif. Des penseurs majeurs, comme Averroès, n’ont pas évité le problème clef du lien social et le besoin de gérer sur des bases saines, tout en réfléchissant sur les thèmes de moralité en relation directe avec le problème éthique. Interpréter, débattre, rechercher des solutions efficientes est un devoir pour servir l’intérêt général. «L’interprétation vraie, nous dit Ibn Rochd, est le dépôt dont fut chargé l’homme.» (Fasl el maqual) Le recul et la distance sont les voies qui appellent à une lecture susceptible de nous aider à saisir le sens du monde, de notre humanité et à trouver des réponses justes pour progresser et se développer. La raison s’adresse à l’être humain; la visée est sans ambiguïté: toute l’humanité est concernée, nul n’a le monopole du développement.

Distinguer

Ibn Rochd a démontré la nécessité de distinguer, de reconnaître que le fait de penser ne devait souffrir aucune frontière ou confusion, ni limite préalable et, en même temps, que la relation d’échanges avec les autres était la condition incontournable de la recherche de la vérité: «Ce serait un devoir pour nous de commencer par l’étude et, pour le chercheur suivant, de demander secours au précédent, cela jusqu’à ce que la connaissance fût parfaite (…) Il est clair que c’est un devoir pour nous de nous aider dans notre étude de ce qu’ont dit, sur ce sujet, ceux qui l’ont étudié avant nous, qu’ils appartiennent ou non à la même religion que nous (…) Il suffit qu’ils remplissent les conditions de validité.» ( Fasl el maqual)

Les conditions de validité d’accès à l’universel, c’est encore, de nos jours, le problème. En cherchant à cerner la question du lien social, Ibn Rochd a pour souci de cerner la question de la société juste et, par là, le dépassement des antagonismes produits par les différences entre les cultures. En traitant du rapport entre philosophie et culture, il ne cherche pas seulement à les accorder, comme la tradition et l’orientalisme le répètent. Il y a là un moment majeur de la pensée confrontée à la difficulté de la validité de la vérité: «La vérité ne saurait être contraire à la vérité; elle s’accorde avec elle et témoigne en sa faveur» (Fasl el maqual), proclame Ibn Rochd.

L’accès à la vérité universelle passe par une sorte de comparution devant la raison. N’est pas universel qui veut. La pensée d’Ibn Rochd remet en cause, du même coup, ceux qui imposent des conditions, pratiquent la fermeture, l’opposition et le rejet, et ceux qui se complaisent dans une prétendue conciliation qui n’assume pas la cohérence universelle. Les termes décisifs, dans cette œuvre, sont les verbes lier, joindre, mettre en rapport (wasl), et distinguer, séparer (fasl). Il s’agit bien de distinguer sans opposer, ou de joindre sans confondre, tout ce qui, dans l’articulation, peut faire sens, pour aboutir à une forme d’inconditionnalité.

La société du savoir

L’acte de penser a pour tâche de prendre conscience simultanément de ces mouvements et de les mettre en relation, de manière à garder une perspective objective. Ibn Rochd considère que s’ouvrir à la raison sans condition et sans préalable est le bon moyen de se développer, connaître objectivement le monde, par l’œuvre d’art on connaît l’artisan, dit-il. Il s’agit de permettre à chacun de dépasser les limites et les conditions imposées par la subjectivité, sans violenter ce niveau naturel. Ibn Rochd montre que non seulement la raison invite à la connaissance, mais encore qu’il en fait une condition sine qua non pour que les humains correspondent, dans la mesure du possible, à ce qui est requis d’eux. Sa pensée est plus que jamais d’actualité; elle nous aide à faire face raisonnablement à la difficulté complexe de vivre de manière responsable, développée, civilisée.

Pour Ibn Rochd, la raison est aussi sensibilité, lieu de la jonction, de la rencontre entre les dimensions essentielles de la vie. L’accueil de la raison, de l’universel est un acte de l’humanité vraie. Raisonner ce n’est point abdiquer ou renoncer au mystère, c’est au contraire prendre conscience, s’élever, de manière responsable, en faisant le lien. Une raison qui n’est pas hospitalière, qui ne fait pas le lien, qui ne vise pas l’intérêt général, est en rupture avec ce qui est requis de la condition humaine. S’instruire, se cultiver, raisonner est la voie pour devenir autonome tout en gardant en vue le bien commun.

Ibn Rochd avait pour souci de maintenir vivant un point de contact entre la raison et la réalité. Il s’agissait pour lui de se développer sur des bases solides, de conjoindre la singularité, la différence et l’universel. L’intuition du cœur comme acte de confiance et l’acte de raisonner comme engagement que l’on doit assumer pour assumer la vie en société. D’où l’importance de donner la priorité à l’éducation, à la culture, à la société du savoir.

MC

L’INFORMATION ET LE DIALOGUE DES CIVILISATIONS

L’INFORMATION ET LE DIALOGUE DES CIVILISATIONS
Les bouleversements médiatiques

Par Mustapha Cherif


Il n’y a pas d’alternative à la rencontre, l’échange et le dialogue interculturel. Alors qu’il faut œuvrer pour la coexistence et l’interconnaissance, en ce début du XXIe siècle dans le monde, le brouillage des frontières médiatiques et le monopole technologique creusent des fossés entre les peuples. La désinformation est grande au sujet de la civilisation musulmane, méconnue, alors qu’elle a participé à l’émergence du monde moderne. Les nouvelles technologies de l’information et de la communication, la logique du marché et le développement d’Internet faciliteront-ils le dialogue des civilisations? Le monde des médias, le quatrième pouvoir, connaît des bouleversements ambivalents. Certains aspects favorisent la connaissance et les progrès, d’autres infantilisent et érigent des murs, au lieu de construire des ponts. Des groupes isolés ne semble pas favorable à l’alliance des civilisations.


Cependant, la technologie progresse et permet malgré tout des échanges culturels. Les changements significatifs, pour nombre d’observateurs, sont l’importance de l’Internet. Dans ce contexte, la concentration de groupes de médias entre les mains de cartels politico-financiers qui dictent leur loi est un aspect préoccupant. Nous sommes loin du nouvel ordre international de l’information équilibré, conçu lors des années 70 à l’Unesco. Des chercheurs s’interrogent sur le risque de déclin des médias traditionnels et l’émergence des nouveaux médias monopolisés par les puissants de ce monde. La situation se complique et plus encore pour les pays du Sud relégués au rang de consommateur qui subissent, sans prise réelle sur le fond.

Ce monde des médias


La question consiste à discerner les avantages et inconvénients, les lignes forces de cette évolution ambivalente. Ils sont relativement néfastes pour l’identité des peuples et la pluralité culturelle, en même temps, ce sont des outils incontournables pour le développement et la liberté d’expression. Les processus de changement dans le paysage médiatique mondial sont liés à la politique hégémonique, en particulier des USA, à la technologie et à l’économie de marché. La mission de contre-pouvoir, censée être celle des médias, s’est amoindrie, malgré la profusion de canaux et d’acteurs de l’information. Les relations internationales ne sont pas démocratiques et le recul du droit à la différence est visible en Occident.


La question de la remise en cause de la fonction journalistique comme action médiatrice dans l’espace public se pose. Le brouillage des frontières médiatiques est lié à la fois à l’intégration des médias dans le secteur plus vaste de la communication, où chacun peut produire de l’information, invérifiable, et de par les monopoles des grands networks et autres concepteurs des autoroutes de l’information. Le dialogue des cultures, la recherche du juste et du vrai sont contrariés par cette situation.


Les espaces de débats et les entreprises médiatiques de la presse traditionnelle, notamment écrite, connaissent une crise. Les difficultés de la presse se sont aggravées à cause principalement, du recul du droit, de la baisse des revenus publicitaires et du recul de la diffusion. La baisse du lectorat oblige les journaux à des changements éditoriaux et à l’élaboration de nouvelles stratégies économiques qui marginalisent les échanges culturels, même si la presse magazine et les périodiques spécialisés connaissent un certain développement grâce à l’intérêt que portent les lecteurs sur les questions de loisir, de sport, de santé et de culture.
Cette situation de crise des médias, des quotidiens et de croissance des TV d’information continue et des magazines a fait évoluer les paysages médiatiques et à obligé les acteurs médiatiques à négocier avec l’ensemble des parties concernées, notamment l’Etat, pour mettre en place des réformes.


Sur le plan du marketing, les quotidiens procèdent à une révision régulière de leur maquette et plan publicitaire, sur la base d’études de marché. Le poids de la logique commerciale et des politiques, néocoloniales ou impérialistes, influe sur l’évolution du paysage médiatique mondial et réduit les possibilités de convergence culturelle.
Sur le plan du métier du journalisme, on assiste à des nouvelles exigences et définition du professionnalisme.


Cependant, la désinformation sur la réalité internationale, le libéralisme sauvage, la recherche de l’audience à tout prix et la dégradation des moeurs dans le monde nivellent par le bas. Les élites et la presse classique sont confrontées à des nouveaux défis et concurrents qui s’imposent dans le paysage médiatique, en particulier l’Internet et la presse écrite gratuite. La connaissance et le respect des autres cultures sont occultés.


La gratuité de l’accès à l’information par Internet, la presse écrite gratuite, en plus de la radio et de la télévision, dans le cadre des monopoles, transforment en profondeur le monde des médias confronté à l’impératif économique; ce qui pose des questions éthiques. Des entreprises médiatiques décident de créer elles-mêmes des supports gratuits et accélèrent le processus de concentration des médias. Le média gratuit gagne un électorat, notamment les jeunes et les femmes, environ le tiers des lecteurs, mais la connaissance d’autrui est faible. Donner à penser pour respecter les autres cultures devient rare.


La révolution Internet peut-elle corriger cela? C’est possible par l’interculturel. Le nombre des internautes ne cesse d’augmenter d’une manière exponentielle et les citoyens du monde sont liés virtuellement. Internet est en train de transformer en profondeur et pour longtemps le paysage médiatique, reste à espérer que cela va réduire les préjugés et permettre le dialogue des cultures. Les réseaux sociaux et l’émergence d’un journalisme de communication de masse par des amateurs n’ont pas démontré que le dialogue est assumé. Le problème pour le monde arabo-musulman réside dans le fait qu’il est ciblé par l’ordre inique mondial comme «nouvel ennemi» et ses faiblesses internes sont amplifiées par les propagandes islamophobes.


Cependant, la mondialisation a des aspects ambivalents. De plus en plus, les jeunes, les associations et les entreprises médiatiques investissent dans l’outil Internet en créant des sites avec un accès gratuit à l’information et en cherchant à utiliser tous les nouveaux médias utiles. Les opportunités proposées par Internet produisent une situation d’incertitude, de rapidité et un flot d’informations difficiles à vérifier. Internet pose la question de la fiabilité de l’information, car la facilité d’entrée sur les réseaux favorise les pratiques amateurs, voire les manipulations.

La gratuité de l’accès à l’information par Internet


Le paysage des entreprises médiatiques se transforme en profondeur par la réorganisation de la presse dans le monde, cela a abouti au renforcement de la présence de grands groupes industriels. Le brouillage des frontières médiatiques se caractérise par la distinction entre supports de grands groupes multimédias et entités de communications traditionnelles. Le déséquilibre entre le Nord et le Sud reste important, malgré la multiplication des supports. Les années 2000 sont marquées par l’accélération de la mondialisation, la réorganisation des importants groupes de médias dans les pays développés et l’influence des nouveaux médias dans la vie politique, économique et culturelle, ce qui profite surtout aux plus riches et aux ingérences, même si des groupes défavorisés ou mouvements sociaux s’appuient sur ces nouveaux vecteurs d’expression.


La concentration industrielle des médias risque de s’amplifier, ce qui portera encore plus préjudice à la démocratie en relations internationales et au dialogue des civilisations. Cela soulève les questions du pluralisme du système médiatique. Des investisseurs étrangers interviennent partout pour acheter des supports médiatiques. De nombreux quotidiens, radios et télévisions ont changé de propriétaire ces dix dernières années, avec des logiques de monopole. Le poids de la logique commerciale et celui de vouloir imposer une forme hybride d’occidentalisation influent sur le paysage médiatique.


Dans le Monde arabe, des chaînes d’information continue imitent CNN, mettent l’accent sur l’alarmisme, les positions extrêmes et ne participent pas à la défense des intérêts nationaux et à la présentation intelligente des valeurs de la civilisation musulmane. Des chaînes satellitaires arabes, faute de contexte d’ouverture et vu l’insuffisance des compétences, sont souvent limitées à des discours traditionalistes dépassés ou pire, imitent la société de consommation. Nous assistons à un choc des ignorances et une crise de civilisation.


La révolution Internet est en train de s’imposer, mais la question de la mémoire, de connaître son propre patrimoine et celui de l’humanité se pose. Un habitant sur cinq dans le monde est aujourd’hui connecté, un sur deux dans le monde développé économiquement et émergent et un sur dix dans le reste de la planète. L’ignorance n’a pas vraiment reculé. Le paysage des entreprises médiatiques est transformé par la dictature du marché et les interférences hégémoniques. Le renforcement des monopoles technologiques et des grands groupes industriels bouleversent le paysage. Cela pose le problème du pluralisme dans le système médiatique international.

De plus en plus de capitalistes achètent des groupes de presse. Cette concentration du pouvoir médiatique entre les mains d’hommes d’affaires liés au politique pose des problèmes d’équité et d’indépendance. L’imbrication des médias et de la politique caractérise de plus en plus le paysage des entreprises médiatiques dans le monde. Internet est certainement le média de l’avenir, mais ses propriétaires et concepteurs détenteurs influent sur nombre d’événements. Cet outil n’est pas neutre.


Le paysage des médias dans le monde connaît une accélération préoccupante de l’Histoire, car la technologie progresse vite et la mondialisation à sens unique uniformise, nivelle, agresse et se développe sur cette base. Cela brouille les frontières entre des domaines d’activités différentes et porte atteinte au droit à la différence et au dialogue des civilisations.
L’imbrication des médias de l’industrie et de la politique et le monopole occidental, notamment américain, marquent le paysage de l’information et de la communication dans le monde. Ces domaines, en particulier l’Internet, vont de plus en plus influer sur la vie des sociétés et partant, sur des enjeux de civilisation.


Les pays du Sud, notamment arabo-musulmans, peuvent contribuer à changer positivement le monde, doivent en prendre la mesure et investir en priorité, en termes stratégiques et qualitatifs, dans les domaines des nouveaux médias et des télévisions satellitaires. Encore une fois, priorité urgente à la culture, l’éducation et à la formation pour maîtriser ces incontournables outils et faire connaître et défendre par la créativité les valeurs des civilisations spécifiques.

(*) Professeur des Universités


www.mustapha-cherif

Mustapha CHÉRIF (*)

LE DÉFI DU SAVOIR

DOSSIERS

LE DÉFI DU SAVOIR
La formation continue
19 Mai 2011 Maîtriser le développement dépend en premier lieu de la capacité à  forger des compétences

L’UFC est une université qui se voulait de la deuxième chance.

Le plus grand des défis de notre temps est celui de produire du savoir, domaine des compétences scientifiques et techniques. Dans les pays économiquement développés, il ne s’agit pas seulement de se former au savoir, mais de le produire et de l’actualiser sans cesse. Maîtriser le développement dépend en premier lieu de la capacité à forger des compétences et élever en permanence leur niveau. La gestion du développement de la compétence et du management sous forme de formation continue est devenue une science fondamentale pour renforcer le développement.
Il s’agit, à la demande des institutions, des entreprises, des organisations et des universités, de les aider à concevoir et mettre en place les programmes et dispositifs de gestion de développement des ressources humaines et des compétences. Des pays développés, notamment avec peu ou pas de ressources naturelles, comme le Japon, mettent l’accent sur cet aspect clé de la formation continue lié au capital humain. Ce principe a prévalu lors de la création de l’Université de la Formation Continue dans notre pays en 1989, tout en liant cette dimension d’ouverture à la question de la justice sociale. L’UFC est une université qui se voulait de la deuxième chance et de l’adéquation formation-emploi. Construire et renforcer les compétences individuelles et collectives au profit des entreprises, des organisations et des universités, passent par le principe cardinal de donner la priorité au savoir tout le long de la vie, en tenant compte de la justice sociale. C’est une approche de la compétence sous forme de réponses à des questions posées par les aspirations des concernés et la réalité et non point seulement sur la base de théories et du simple profit. Une des questions majeures est celle du lien entre stratégie de gestion des ressources humaines et démarche pratique pour garantir l’élévation dans la hiérarchie sociale.
Il s’agit de favoriser les compétences, les construire, les renforcer et les développer sur la base de critères objectifs, clairs, dans la transparence. Un des points essentiels est de passer du niveau individuel au niveau collectif de compétence. Apprendre à étudier hors des contraintes classiques et travailler en équipe pluridisciplinaire est important, car nul n’a le monopole de la connaissance. Développer la compétence collective, des entreprises et établissements du savoir, pour mettre en oeuvre une gestion cohérente est une des clés du développement.

La deuxième chance et l’adéquation formation-emploi
Des spécialistes du management estiment que la compétence individuelle et collective est un «savoir agir», pas seulement savoir ou connaître. Cette méthode de la faisabilité est à comprendre comme une combinaison de savoirs divers mobilisés en situation de travail ou de recherche scientifique, qui dépasse le simple savoir-faire. La compétence n’est pas un état acquis une fois pour toutes, mais un processus évolutif, qui doit prendre en com-pte les circonstances, la dimension organisationnelle, d’où l’importance de la formation continue.
La notion de compétence scientifique et collective mérite d’être approfondie dans le cadre des formations, des échanges et débats, chacun partage et consolide son expérience. Une compétence n’existe pas en soi, elle se rapporte à une famille d’activités, de niveaux et de situations et doit être revisitée et confrontée aux évolutions. Il ne sert à rien d’avoir des connaissances si on ne sait pas agir avec compétence selon le contexte et les objectifs. L’expérience est une des conditions du progrès, si on sait actualiser ses connaissances.
A partir des années 90, dans les pays marqués par l’économie de marché et la recherche scientifique, les entreprises et les organisations font de plus en plus attention à la formation continue et multiforme du personnel, en particulier ceux qui ont une influence directe sur les performances, la compétitivité et de création de valeur, donc sur le développement. L’intérêt porté actuellement sur la mise à jour du savoir agir, dans les dispositifs de gestion des compétences, a pour but d’aboutir à une logique de compétence évolutive. Tout ce qui est figé est voué à l’échec, ou à tout le moins à une baisse de l’efficacité.
Une personne doit être capable de s’adapter et de traiter un ensemble de situations professionnelles, c’est-à-dire d’agir avec compétence et mesure, selon l’évolution des contraintes, du contexte et de gestion des ressources. Pour des chercheurs, la compétence individuelle et collective consiste à avoir des capacités permettant la résolution des problèmes posés, afin de réagir à des situations données. Savoir agir pour valoriser les ressources est une combinaison de savoirs divers, mobilisée en situation de travail, qui dépasse le simple savoir-faire. La compétence devient un processus qui prend en compte une dimension organisationnelle et contextuelle. C’est pourquoi la notion de compétence collective est un critère qui permet de ne pas prétendre à tout savoir. La formation continue vise à répondre à ce besoin.
Pour des experts en management, acquérir un «savoir agir» n’est pas l’accumulation de divers savoirs, mais leur alliance ou combinaison, c’est à dire savoir écouter, mobiliser, intégrer et mettre en pratique des connaissances de soi et d’autrui. La notion de compétence a évolué, d’où l’importance de prendre en compte les nouvelles données par la formation continue. Elle doit être théorique et pratique, individuelle et collective. Aujourd’hui dans le monde, les entreprises se préoccupent de plus en plus des compétences des employeurs, de ce fait la formation continue et permanente revêt un aspect incontournable.

L’enseignement pour toute la vie
Pour renforcer les progrès, la création de centres de recyclage, de perfectionnement, d’apprentissage et de formation qualifiante à la carte, est devenue une nécessité. C’est ce qui permet l’adaptation et l’enseignement pour toute la vie. Les entreprises et les organisations doivent se soucier d’une nouvelle forme de compétences, celle liée au caractère de l’évolution des métiers afin de produire des richesses et des idées adaptées à la société de l’économie du savoir.
Une des questions reste celle du lien entre stratégie de développement économique et scientifique et démarche de formation continue pour valoriser les compétences. Comment consolider et favoriser les compétences, les construire, et les développer, afin notamment que l’adéquation formation emploi soit assurée? Comment «passer» du niveau individuel au niveau collectif, du niveau théorique à la dimension pratique? Comment produire de la compétence à la pointe des découvertes et méthodes modernes et non pas seulement se former? Comment rendre compte de la perméabilité entre compétence individuelle et compétence collective pour développer les compétences de l’entreprise ou de l’Université?
Pour cela une entreprise doit favoriser la formation continue, la concertation et la mobilité pour atteindre des objectifs de développement. Afin de former un professionnel compètent, à qui on peut faire confiance pour innover, qui prend des décisions pertinentes dans des situations complexes et non pas quelqu’un d’isolé qui n’intervient pas, la priorité doit être celle de la formation continue.
Un chercheur scientifique, qui anticipe et ne laisse échapper aucune dimension importante de la situation problématique ou de la demande client, est celui qui doit apprendre à reconnaître les travailleurs rigoureux et disciplinés, même s’ils ne sont pas perçus comme tels par les autres. Le travailleur compétent, selon des experts en ressources humaines, est celui qui apprend en permanence pour mettre en oeuvre des pratiques professionnelles pertinentes et qui mobilise des ressources appropriées en respectant l’intérêt général.
Un professionnel de la production scientifique doit tirer des leçons de son expérience pour s’adapter, transposer, enseigner, transmettre, et agir avec un sens élevé de l’éthique. L’idée dans la recherche scientifique au service du développement consiste à former en termes exponentiels des compétences individuelles et collectives. Tout en favorisant la qualité de l’innovation et l’économie de la variété et de la diversification. C’est ce qui permet de susciter la synergie et de mettre en complémentarité deux ou plusieurs compétences. Cette méthode objective et critères scientifiques permettent de valoriser le capital humain, y compris la main-d’oeuvre compétente afin de faire face à la concurrence et au marché mondialisé.
Une entreprise performante est celle qui est dotée d’un capital humain qui s’adapte, dispose d’un savoir agir, d’un sens de la mesure et d’une efficacité par rapport aux autres entreprises. C’est la formation continue qui peut faciliter de déboucher sur l’innovation, un enjeu important face aux défis de la mondialisation. Les Universités et les entreprises sont dans l’obligation d’être des prestataires de qualités.
La qualité est devenue incontournable, la quantité étant l’autre critère. La compétence se juge parfois face aux imprévus et aux situations nouvelles. En conséquence, avoir des compétences ce n’est pas seulement comprendre et interpréter une situation, mais c’est aussi faire face aux imprévus, s’adapter, gérer les moments de crise et s’avoir prendre des initiatives qui pacifient les relations sociales et de travail.
Le concept de compétence et de savoir agir est actuellement utilisé par les responsables en ressources humaines, mais les entreprises et les universités ont besoin d’un concept qui soit en accord avec l’évolution des contextes et des situations de travail. Dans le cadre de l’économie de marché et du souci de performance, il se base sur «le savoir agir» relevant d’un processus de prise en compte de la dimension humaine qui bénéficie de la formation continue. Les types de formation théoriques, pratiques, spécialisées, généralistes, individuelles, collectives, en alternance ou épisodiques, stages et perfectionnements, seront les réponses à une situation professionnelle donnée.
Articuler toutes ces dimensions est un art et une science et non pas seulement le fait d’additionner des compétences.
Il s’agit de d’adapter, compléter et fusionner des acquis, expériences et savoirs, afin d’aboutir à des résultats propices, c’est-à-dire à une «compétence réelle» liée à l’évolution des métiers.
La compétence réelle et efficiente sera double: individuelle et collective, théorique et pratique, sur la base de l’exercice de la raison logique liée au réel. Les énergies existent, les valoriser de manière continue est de l’ordre du bon sens, pour progresser.

(*)Professeur des Universités
www.mustapha-cherif

Mustapha CHÉRIF (*)

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LE RÔLE DE L’ÉCOLE Authenticité et progrès


Par Mustapha Cherif

Journal l’Expression 05 Mai 2011 - Page : 10

Dans le monde moderne, la fonction de l’école dans le domaine de la culture de l’éveil, du savoir et du civisme est majeure. L’Ecole a pour but de former un citoyen capable d’assumer sa responsabilité dans le bon comportement civique, d’être créatif et porteur de valeurs communes, nationales et universelles. En somme, articuler l’authenticité et la modernité.
Harmoniser des connaissances traditionnelles et la science moderne est le bon chemin. À l’heure de la crise de la mondialisation et de la dictature du Marché, cet impératif doit permettre à toutes les générations et à l’ensemble des couches sociales de se sentir concernées par la question globale du développement, donc par leur avenir. nous devons apprendre à l’enfant à respecter autrui et à dialoguer.

La connaissance multiforme

L’objectif est de sortir des pesanteurs de la culture fermée ou matérialiste, de l’irresponsabilité et de favoriser l’autonomie d’un individu complet, à même d’aider à préserver et faire avancer l’identité et le sens de l’universel. L’autonomie de l’individu et sa formation scientifique passent par le savoir et la connaissance multiforme.
Le local n’a de sens valide que s’il s’inscrit dans le savoir universel. Tout comme le savoir moderne est insuffisant s’il ne tient pas compte des racines, de la mémoire et du patrimoine d’une société. Il est peu aisé d’énoncer et lier de tels concepts différents: autonomie, universel, tradition, civilisation, modernité, alors que leur sens et réalité sont encore à venir, c’est-à-dire si peu compris dans l’état actuel. L’idéal est de les conjuguer, les articuler, les lier sans les opposer.

Durant ces derniers siècles, le citoyen, source de développement pour son pays, devait acquérir des compétences, une culture et une éducation de trois types: générale, scientifique, technologique et civique. Nous l’avons vu avec Averroès, le moteur central est la raison: elle doit oeuvrer sans condition afin de prémunir les personnes et la société contre les mythes, l’ignorance, les visions sectaires, subjectives, qui entravent l’épanouissement de l’individu comme le développement de la collectivité, et suscitent les dérives néfastes de toute nature. Aujourd’hui, chacun peut comprendre qu’authenticité et progrès doivent êtres inséparables.

Le savoir et la connaissance, la capacité d’objectivité fondée sur la raison critique, créative, constructive et vigilante, ouverte sur la marche du temps, le rapport à l’autre différent, perçu comme naturel pour l’existence de chacun, le sens du discernement et le civisme, tout cela a relativement favorisé l’essor sans précédent du progrès, notamment du droit, de la sociabilité et de la techno-science. Reste à garder une mémoire vivante.
Aux trois dimensions de culture générale, de compétence scientifique et d’éducation civique, s’ajoute la nécessité d’une pensée réfléchie, d’une philosophie présente dans la vie pour assumer la culture de l’éducation. Il ne suffit pas de se former au savoir, il faut produire du savoir. Pour ce qui concerne l’école, il s’agit de moderniser, de réformer, d’adapter les programmes et les enseignements pour qu’ils répondent à la fois aux normes universelles du savoir, de l’éducation civique, de la culture et aux valeurs spécifiques de la nation. L’école a une part de responsabilité.

Aujourd’hui, comme tous les autres secteurs de la vie sociale, l’école doit s’efforcer de faire son travail, c’est-à-dire de faciliter à la jeunesse leur héritage culturel et l’apprentissage de l’esprit critique en formant des têtes bien faites, plus que des têtes bien pleines, afin de pouvoir, en permanence, renouveler leurs connaissances, en termes inventifs et créatifs.

Fidélité aux racines

L’évolution constante des métiers et la complexité de la réalité obligent d’ailleurs, à acquérir des méthodes plus que des contenus. En ce sens, dans le monde, si la crise est morale, c’est qu’il n’y a pas assez d’écoles et d’universités qui répondent pleinement à tous les besoins, culturels, économiques, spirituel et sociaux, dans tous les sens des termes, dignes de ce nom.
Il y a dans le monde, aujourd’hui, une crise des sciences, notamment sociales et humaines, de par le cloisonnement.

Pour affronter avec force et courage les difficultés du monde moderne, il y a lieu d’apprendre aux jeunes à être à la fois capables de savoir, de savoir-faire, de discernement, d’objectivité, de vigilance et de fidélité à leurs racines.
Théoriquement, c’est à l’université avant tout que la connaissance doit être conçue, afin que les élites éclairent les jeunes et répondent aux besoins de la société. Négligeant le dialogue, la patience, les valeurs éthiques et morales, le discours dominant des sociétés de consommation, dans le climat de la mondialisation de l’économisme, pousse au déséquilibre, à l’isolement et à la facilité stérile et éphémère.

Tout cela, avec les effets de la rupture entre les dimensions de l’existence, conduit au relâchement des liens sociaux fondamentaux – même si ces notions sont à tort traitées de conservatrices et de «vieux jeu» -, à l’abandon des valeurs de l’échange, de l’hospitalité et à l’incapacité d’atteindre l’universel commun. L’exploitation d’une opinion désemparée, sans vraie relation humaine, en est facilitée. Sur le plan spécifique à l’école, la révision des programmes scolaires, la formation des formateurs et la mise à leur disposition de moyens conséquents, que la nation doit concéder, sont à même de relever les défis.

Cela doit tendre à former un citoyen se gardant de tout excès, attaché à ses racines, ouvert sur la marche du temps, responsable de ce qu’il dit et de ce qu’il fait: une partie des problèmes du développement en serait alors résolue. Acquérir le savoir scientifique est incontournable, reste à forger un citoyen équilibré, civique et éduqué. Le premier niveau est interne; il s’agit de développer les programmes des écoles et institutions d’enseignement, de formation, de recherche pour favoriser l’apprentissage de la pensée constructive. Le système éducatif doit pouvoir répondre à cet impératif.

Pour ce faire, il faut une préparation pédagogique. Afin d’intégrer objectivement le savoir complet à l’école et à l’université, il y a lieu de développer et généraliser, en sciences sociales et humaines, les thèmes modernes et fondamentaux de la logique et des valeurs éthiques et l’amour de la littérature.
Alors qu’elles constituent un des instruments majeurs de formation de la pensée moderne, la place des sciences humaines et sociales, la logique, l’éthique et la philosophie, reste étroite. Certains volets des sciences sociales, humaines peuvent être élaborés en collaboration avec les structures spécialisées de l’Unesco.
Ce premier niveau est donc celui du contenu scientifique, de la formation au sens le plus général. Le deuxième niveau est celui de l’intégration de l’éducation de la culture, des valeurs morales et du patrimoine. Cela concerne encore les sciences sociales et humaines.
La présentation de ces questions doit être adaptée aux niveaux, aux âges et à l’évolution. Un des problèmes de l’enseignement est d’une part, celui de l’équilibre entre les sciences exactes et sociales, d’autre part, la faiblesse de la connaissance de soi et des autres cultures et traditions.
Une symbiose est à trouver. Le cloisonnement n’est pas une solution, car c’est le pluridisciplinaire qui est fécond et utile. Cela n’empêche pas la spécialisation.

Les programmes des différentes matières citées doivent donc consacrer des chapitres et des horaires à l’apprentissage des questions se rapportant à la méthodologie et à la culture générale en permettant de distinguer et de raisonner.
La langue arabe définit le savoir par le mot îlm, au sens de logique scientifique, et la connaissance comme maârifa au sens de connaissance liée au mystère, à l’invisible, à l’au-delà. C’est une différence sans opposition ni dévalorisation de l’un ou de l’autre. Ils sont complémentaires.

Le pluridisciplinaire

La sensibilisation des masses, de chaque citoyen au respect des valeurs communes, de l’engagement à assumer ses devoirs et à respecter les droits d’autrui, voilà une tâche constante. Le civisme, l’éducation et la solidarité sont les maîtres mots du citoyen instruit et cultivé. Le citoyen a pour devoir de pratiquer ces valeurs, d’adhérer à ces niveaux, à ces principes et à des valeurs supérieures d’élévation de la condition humaine. Dans le monde actuel, on doit corriger dans ce domaine le désengagement ou l’oubli vis-à-vis des repères traditionnels, vu la perte de repères et de rapport vrai au savoir.

Par l’élévation du niveau de culture et de conscience, on peut renforcer la cohésion, au service des intérêts généraux, et de favoriser le développement, sur la base d’une éducation pleine de noblesse, éveillée, lucide et logique. L’enseignement de la philosophie, de l’histoire, de l’éducation civique et des Arts, matières liées à la citoyenneté et la sociabilité, doit, notamment avoir pour but la sensibilisation de chacun au respect des biens communs et d’autrui.

Un pays culturellement, économiquement, socialement développé et un peuple éduqué, tolérant et ouvert, permettent de réaliser, dans l’intérêt de chacun, une civilisation.
Le développement des compétences et l’élévation du niveau de culture générale, scientifique, technologique, civique sont des remparts et sources de bienfaits. Ils permettent de réaliser l’équilibre entre les droits et les devoirs du citoyen, sous l’égide de la puissance publique. Marier authenticité et progrès c’est possible. L’Ecole peut et doit contribuer à ce noble objectif, d’autant que la jeunesse est assoiffée de savoir et de connaissance.

(*) Professeur des Universités

Mustapha CHÉRIF (*)

Le livre ou la télévision

Les défis du savoir

Le livre ou la télévision

Par Mustapha Cherif

La jeunesse regarde la télévision environ deux heures par jour, temps qui varie selon les pays et le niveau de développement. La télévision est un moyen de communication attractif qui offre des loisirs aux jeunes : films, musiques, jeux et autres émissions. Elle a un attrait et une richesse visuelle que n’a pas l’écrit. Cependant, la lecture d’ouvrages reste la base de la vraie culture, du savoir. L’image télévisuelle est agréable à la vue, mais éphémère, elle ne fait pas assez travailler l’esprit. C’est toute la différence entre l’écrit et l’image. L’audiovisuel sollicite la vue et l’ouïe, mais favorise rarement le temps de la réflexion.

La baisse du niveau culturel

Dans la lecture et l’écrit, l’individu s’investit et mémorise de manière critique, d’autant que le texte est souvent choisi volontairement, contrairement à la télévision qui impose les images qu’elle veut. Un texte on le suit à notre rythme et doit être décodé pour être compris. Chacun s’implique activement pour lire, alors que face à la télévision la passivité est plutôt de mise. L’acte de lire forme l’esprit à la participation, à la créativité et responsabilité. En outre, Cela détend et peut passionner dans la sérénité.

Pour donner le gout de la lecture à nos jeunes enfants, il faut lire avec eux un texte simple. Aux adolescents nous devons leur offrir des livres. Ensuite nous pouvons leur demander de nous raconter l’histoire. La lecture permet d’apprendre à s’exprimer, d’enrichir le vocabulaire, de découvrir des styles littéraires et de favoriser la vie culturelle. L’identité d’un peuple réside d’abord dans la maîtrise de la langue, de la mémoire et la capacité à renouveler et enrichir le patrimoine. Le livre en est la base.

Dans les pays de la Rive Sud, les enfants lisent peu, en rive Nord ils lisent moins que par le passé. La télévision et l’internet perturbent l’acte de lire. Les parents et les enseignants constatent la baisse du niveau culturel. Ne pas lire c’est devenir analphabète. Des élèves d’aujourd’hui peuvent à peine lire une page sans faire de faute et ne comprennent pas le sens du texte, incapables d’en tirer des leçons. Lire c’est mémoriser des idées, un vocabulaire et des informations utiles pour la maturité et la vie sociale. L’intérêt pour la lecture doit être éveillé avant l’entrée à l’école, par les parents et l’école maternelle. Car la télévision et l’internet empêcheront les enfants après 12 ans de lire, s’ils n’ont pas commencé tôt.

La télévision, malgré certains de ses avantages, crée une illusion et de la passivité. Umberto Eco écrit : «Pour moi, le plus grand danger, aujourd’hui, vient de la télévision. Ce danger commence avec l’animateur qui n’interviewe que des personnes défendant des thèses insensées et perverses. On fait croire aux spectateurs que la perversion, c’est la normalité.»

Se divertir est une activité normale, mais regarder la télévision, ou travailler avec un ordinateur, ne remplacera jamais la lecture. Certes tout cela peut se compléter, mais le problème, réside dans le fait que la lecture d’ouvrages est trop faible. La télévision et l’usage des NTIC plus de deux heures par jour. Le déséquilibre est flagrant. Pourtant, seule la lecture permet d’acquérir des savoir-faire approfondis et fondamentaux et de les développer de manière autonome.

Un exutoire

De plus, le temps passé devant la télé est susceptible de perturber la personnalité et l’identité de l’enfant. Avant même que la question des programmes et contenus ne se pose, celle du temps passé consacré à la télé est un sujet majeur. Le fait de se mettre en face de l’écran duquel il est contraint à la passivité, est susceptible d’enfermer l’enfant dans un statut de récepteur sous influence, un danger réel au-delà d’un certain temps et d’une accoutumance nocive.

Les recherches relatives au développement du lien d’attachement, voire de soumission, comme une drogue, montrent qu’il est à craindre qu’un enfant qui se développe avec cette présence permanente de la télévision, construit un tel attachement à cette télévision, qu’il sera partisan du moindre effort. Devenu adulte, il ne pourra plus se passer de cette présence permanente, et sa personnalité sera passive, incapable de créer ses propres repères et visions du monde, incapable de faire le tri des images et messages et de s’engager dans le réel.

En l’absence de loisirs et de programmes éducatifs attrayants pour les jeunes, la télé et l’internet constituent leur exutoire. Cela est excessif et nuit à la possibilité de se connaître soi-même, de lire, de réfléchir et de dialoguer avec sa famille, ses amis et voisins. Certes, c’est une fenêtre ouverte sur le monde et il y a des émissions qui peuvent être instructives, mais elles sont de plus en plus rares.


La violence, l’incitation à la consommation, à la jouissance à tout prix, et la propagande pour telle ou telle idéologie, constituent l’essentiel des programmes télévisés dans le monde.
L’influence de doctrines et pratiques superficielles, nuisibles et non conformes à nos valeurs et intérêts par les télés satellitaires, d’Orient ou d’Occident, leurs images et messages troublent et transforment les repères, notamment pour les enfants. Les télévisions étrangères perturbent les mentalités et traditions et diffusent des programmes qui infantilisent et dénaturent.

Aujourd’hui, le développement d’un enfant passe par la capacité d’interagir avec les différentes données et objets qu’il rencontre. Alors que, comme le savent les spécialistes, l’interactivité est psychique chez l’adulte et l’enfant devenu grand, elle a encore besoin de s’appuyer sur le corps et la motricité chez l’enfant jeune. L’intelligence, à cet âge, est, en effet, plus corporelle qu’imagée ou conceptuelle.


Jusqu’à environ sept ans, l’enfant a besoin du contact physique et réel du monde qui l’entoure. Il est à craindre que le temps passé par l’enfant devant les images virtuelles des émissions d’une chaîne de télévision – dessins animés ou films, qui peut rassurer les parents parce qu’elle est présentée comme fabriquée pour les petits – ne l’éloigne en réalité des activités naturelles, motrices, exploratoires et interhumaines, fondamentales pour son développement.


L’enfant se développe et établit une relation satisfaisante au monde qui l’entoure, que s’il peut se percevoir comme un être de relation, un agent de possible transformation de son environnement. C’est ce qu’il fait quand il manipule de petits objets autour de lui et cherche à les réinventer et les transformer selon sa propre imagination. Il est à craindre que l’installation trop longtemps d’un enfant devant un écran ne réduise sa volonté de pouvoir d’agir sur le monde et de dialoguer et ne l’enferme dans un statut passif, simple spectateur du monde.


La priorité au livre

Des travaux scientifiques, notamment ceux appliqués à la relation mère-enfant, montrent que l’être humain est capable de s’accrocher aux éléments les plus présents de son environnement, dès les débuts de la vie, et notamment à ceux dont il a l’impression qu’ils le regardent. Il est à craindre que de jeunes enfants qui ne lisent pas confrontés sans cesse aux écrans ne développent une relation d’attachement à des images virtuelles de violence ou de pratiques futiles, indépendamment de tout sens critique.


Ces enfants ne pourraient se sentir «bien au monde» -autrement dit sécurisés- que si un écran est allumé près d’eux, incapables plus tard, à l’âge adulte, de supporter le silence, la solitude et de dialoguer avec eux-mêmes, avec des difficultés de communication avec autrui.
La nécessité de développer la personnalité de la jeunesse passe par la variété des pratiques culturelles et un programme éducatif qui les encourage à rencontrer et discuter avec les autres, à lire et à assumer la sociabilité.

La société a besoin de donner la priorité au livre. Car la situation est préoccupante. Pour répondre aux immenses besoins de compétences, pour relever les défis du développement pour former des citoyens équilibrés et matures, la tâche de tous les acteurs culturels est de tout faire en vue de donner à lire à la jeunesse, afin qu’elle ne s’enferme pas, mais s’ouvre au savoir et apprenne à agir de manière réfléchie. Il n’y a pas d’avenir sans livre. L’avenir se joue sur cette question du livre, non pas face au petit écran passif pour fuir les réalités. Il devient urgent d’œuvrer pour inciter à lire et multiplier les bibliothèques et les librairies.

La télévision dans le monde du libéralisme sauvage, notamment celle qui est entre les mains de marchands sans éthique, ni principes, fait courir un danger aux jeunes et aux différentes sphères de la production culturelle. La télévision commerciale ou de propagande, comme certains médias, recherche l’audience, l’audimat, l’urgence, sans se soucier des problèmes de fond, des besoins et valeurs propres à chaque société. Le règne de l’audimat donne une place excessive à l’émotion superficielle, aux faits divers et au sensationnel sans enjeux, ce qui aboutit au nivellement et à la stérilité intellectuelle.

Dans le monde dominant, comme le signalait Pierre Bourdieu, des télévisions privilégient toujours les mêmes intervenants  qui proposent du fast-food culturel, une sous culture, des locuteurs habitués des médias pour dénigrer et polémiquer, dans un monde clos, de questions creuses et biaisées, en vue de banaliser des contre-vérités. Le livre, au contraire, permet au lecteur de se faire son propre opinion, de vérifier, de prendre le temps, de critiquer et comparer. Un citoyen responsable est un citoyen qui lit.

« Bonne lecture » devrait être le mot d’ordre de notre temps. La civilisation musulmane qui a illuminé le monde durant mille ans, l’a fait sur la base d’un Livre, dont le premier mot révélé est « Iqra » et aussi sur la base des livres des savants. Le renouveau ne peut se réaliser que lorsque la réconciliation avec la lecture et l’écriture seront la tendance lourde.

MC

D’Ibn Arabi à l’Emir Abdelkader

L’EXEMPLARITÉ DES MAÎTRES MYSTIQUES


D’Ibn Arabi à l’Emir Abdelkader

Par Mustapha Cherif

Il est plus que bénéfique, en tant que musulmans, de redécouvrir nos grands maîtres mystiques, véritables guides et éducateurs, pour prendre du recul, vivre raisonnablement, sereinement et honnêtement, sans se laisser perturber par les fracas du monde, ceux des dérives matérialistes et celles des intégristes. A mille lieues du modèle marchand déshumanisant, ou de l’instrumentalisation politicienne de la religion, gardons vivants notre mémoire, nos valeurs morales et notre patrimoine éthique et spirituel.

Etre vertueux
Au coeur de la civilisation musulmane, ils sont d’éminents soufis, depuis 15 siècles, à avoir adopté un mode de vie lié à l’essentiel: l’approfondissement du sens islamique de l’existence, fondé sur le licite et l’entraide. Notre nourriture, nos vêtements, nos paroles et nos actes, nos biens, doivent avoir une base licite. Croire c’est être vertueux, se garder de toute action immorale et penser à autrui nécessiteux. Dans ce sillage, la vie mystique est la plus haute. Elle s’attache au vrai et non pas à l’éphémère et aux ambitions démesurées.


Ibn Arabi, selon la plupart des soufis, est un des grands visionnaires mystiques de l’Islam. Le plus grand des maîtres: el-Cheikh el-Akbar. Il est celui qui a vécu et pensé intensément le Divin, la prophétie, les saints, l’universel, l’ouverture foncière sur le vrai sens de la vie tourné vers l’au-delà et le comportement licite et juste en ce bas monde, pour mériter l’élévation. Le Coran rappelle que l’existence est une question sérieuse. Les hypocrites, les dénégateurs et les injustes sont les perdants. Chaque croyant doit faire son examen de conscience pour se conformer à une vie sage. Les maîtres spirituels sont des guides en la matière.

L’émir Abdelkader Al Djazaïri, notre modèle


Attitude de vie exprimée en des centaines d’ouvrages, dont le chef-d’oeuvre Le Livre des illuminations spirituelles de La Mecque, Kitab al futuhat al makiya, est un immense et magnifique texte de près de trois mille pages pour comprendre ce que sont les valeurs religieuses et la vertu musulmane. L’Emir Abdelkader Al Djazaïri, notre modèle, grand maître du bel agir, al-Ihsan, pour la première fois, au XIX e siècle, a fait éditer nombre des manuscrits d’Ibn Arabi, qui étaient oubliés à Konya en Turquie, dans la bibliothèque de la Zaouïa d’un autre grand soufi Djalal Din Rumi.


C’est un signe du génie algérien et de l’attachement du peuple aux valeurs spirituelles et à la connaissance que d’avoir fait revivre cette oeuvre. Les grands maîtres soufis, comme l’Emir Abdelkader, Abderrahmane Thaâlibi, Ahmed Benyoucef, Abu Medyan et Ahmed Tidjani, et tant d’autres, furent d’exemplaires savants, patriotes et éducateurs hors pair, rempart contre les dérives de toutes natures, les idolâtres, les envahisseurs, les despotes et les corrompus.
A notre époque si trouble, perturbée par la logique déshumanisante du marché et la lutte pour les biens éphémère de ce monde, il est plus que salutaire de se souvenir de ces figures spirituelles musulmanes, d’Ibn Arabi à l’Emir Abdelkader, qui s’attachent au Vrai, à l’éternité et à la sagesse, sans tourner le dos au monde, car leur sens des responsabilités, leur amour de la patrie et le sens du bien commun, étaient une noble réalité.

Ibn Arabi et l’Emir Abdelkader, en sachant qu’être musulman est une chance et un privilège incomparable, posent le respect de la dignité des Hommes et l’égalité universelle des êtres comme essentielle. La différence entre les êtres se situe pour eux autant au niveau de la foi que des actes, entre ceux qui ont commis de mauvaises actions et ceux qui en ont accompli de bonnes. La communauté des musulmans, l’Umma, est la meilleure de toute l’humanité, à condition qu’elle pratique la commanderie du bien. Ces deux maîtres ajoutent que l’intercession de la Miséricorde divine n’est pas exclusive, tout en s’adressant d’abord aux musulmans; car ce sont eux les croyants, lorsqu’ils sont sincères, suivent le Sceau des prophètes sur la base de l’adoration pure du Dieu Unique, ne vivent que de biens licites et pratiquent l’entraide.

Par le bel agir, l’ihsan, et par la prime nature, la Fitra, l’être humain croyant porte en lui la possibilité de participer à l’élévation de la condition humaine et de recevoir la miséricorde.
Ibn Arabi a exprimé sa vision de la responsabilité humaine avec clarté: «O toi qui cherches le chemin qui conduit au secret, reviens sur tes pas, car c’est en toi que se trouve le secret tout entier». Mais le soi ne peut être positif que s’il s’installe dans l’entraide et l’ouvert: «L’idole de tout homme, c’est son ego.» Mettre fin à l’égoïsme et à l’illicite devrait être une des premières exigences des êtres de foi. L’Emir Abdelkader a donné l’exemple en matière de droiture et de justice. Etre équitable, généreux, pratiquer la solidarité n’est pas un acte anodin: c’est l’acte salutaire qui permet de s’approcher de la vérité.

Le cœur et la raison


Dans un célèbre passage, spiritualiste, Ibn Arabi évoque le dépassement des différences: «Mon cœur est devenu apte à recevoir tous les êtres, c’est une prairie pour les gazelles et un temple pour les priants, une maison pour les idoles, et la Kaaba de ceux qui en font le tour, les tables de la Torah et les feuillets du Coran. Je pratique la religion de l’amour (…) Partout c’est l’amour qui est ma religion et ma foi.». La vie et l’œuvre de ce mystique universel illustrent l’élévation de la foi en Islam, qui ne dilue pas les différences culturelles et cultuelles, mais les respecte. Ibn Arabi et l’Emir Abdelkader appellent l’être humain à l’humilité et au licite, comme voie essentielle, pour accéder à la paix de la conscience et la compréhension de la destinée. Le comportement juste, vertueux, honnête, optimiste, permet de répondre à ce qui est attendu de l’être humain.

Il s’agit d’approfondir notre humanité et d’accéder à la sagesse, dans la vigilance, en sachant que la vie est une mise à l’épreuve. Le cheminement pour devenir pleinement vertueux s’accomplit par le raisonnement et la foi, deux dimensions liées. La rencontre, rapportée entre deux grands figures de la civilisation musulmane, en l’occurrence Ibn Rochd (Averroès) et Ibn Arabi, originaire de Murcie, est, à ce sujet, fort significative: «Je me rendis un jour, à Cordoue, chez le cadi Abû I-Walîd Ibn Rochd [Averroès]; ayant entendu parler de l’illumination que Dieu m’avait octroyée, il s’était montré surpris et avait émis le souhait de me rencontrer. Mon père, qui était l’un de ses amis, me dépêchera chez lui sous un prétexte quelconque. A cette époque j’étais un jeune garçon sans duvet sur le visage et sans même de moustache. Lorsque, je fus introduit, il [Averroès] se leva de sa place, manifesta son affection et sa considération, et m’embrassa. Puis il me dit: «Oui.» A mon tour, je dis: «Oui.»

Sa joie s’accrut en voyant que je l’avais compris. Cependant, lorsque je réalisai ce qui avait motivé sa joie, j’ajoutai: «Non.» Il se contracta, perdit ses couleurs, et fut pris d’un doute: «Qu’avez-vous donc trouvé par le dévoilement et l’inspiration divine? Est-ce identique à ce que nous donne la réflexion spéculative?» Je répondis: «Oui et non; entre le oui et le non, les esprits prennent leur envol, et les nuques se détachent!»» Par la réponse d’Ibn Arabi, on comprend que l’intuition de l’âme, la sensibilité du cœur, la foi sont d’un autre ordre que la raison qui la complète. La foi dépasse la raison, notamment en ce qui concerne la possibilité de l’accès à la sagesse et le rapport à l’invisible, à l’au-delà. D’où le «non». Sans que la raison soit réfutée, d’où le «oui et non».

Dans ce débat se résument tous les enjeux du rapport vital entre la foi et la raison, la logique et le sens. Le cœur, temple de la foi, élève l’âme, la raison, outil dont est doté l’humain, élève la condition humaine. Chacune vise à sa manière l’élévation. L’acte de penser n’est pas opposé à celui de croire. Ils sont complémentaires, ayant pour tâche tous deux de prendre conscience des devoirs et des droits humains, et de les mettre en relation, de manière à garder une perspective objective sur le sens de l’existence. Averroès et Ibn Arabi considèrent que s’ouvrir au monde dans la vigilance est le bon moyen de connaître les créatures: par l’œuvre d’art, on connaît l’artisan, le Créateur. Il s’agit de dépasser les limites et les conditions imposées par la subjectivité. Une vie qui n’est pas basée sur le licite et l’intérêt général est une vie gâchée.

Des hommes exemplaires


Averroès et Ibn Arabi montrent que non seulement le Coran invite à la connaissance, mais encore qu’il en fait une condition pour que les musulmans soient des hommes exemplaires. Assumer dans le monde nos responsabilités est impératif, en consolidant la foi au Dieu Unique, le Créateur qui, par le Coran, a révélé sa Parole, son dernier avertissement. Le Rappel pour la dernière phase de l’histoire de l’humanité. La pensée d’Ibn Arabi, comme celle de l’Emir Abdelkader, et tous les maîtres de l’Ihsan, est d’actualité; elle aide à faire face à la nécessité de vivre de manière vraie, responsable, juste. Pour Averroès, la raison est essentielle. Pour Ibn Arabi la vraie connaissance concerne l’invisible, l’au-delà, sans nier la valeur du rationnel. La foi et la raison liées devraient permettre de préserver l’être humain de tout acte déraisonnable et illicite. L’accueil de la raison, de l’universel et la recherche du permanent plutôt que l’éphémère, sont des actes clés.

Raisonner c’est accueillir le risque du vivre, l’étrangeté de la vie, de manière responsable, en faisant le lien. Une raison qui n’est pas hospitalière aux secrets du coeur et à l’au-delà du monde, qui ne fait pas le lien, est en rupture avec ce qui est requis de la Révélation et de la condition humaine. La conscience de tout musulman doit être guidée par la crainte de Dieu et la recherche réfléchie du bien commun, telle est la leçon qu’Ibn Arabi et l’Emir Abdelkader et tant de maîtres soufis ont léguée.


Ibn Arabi, conscient du degré spirituel qu’il avait atteint, avait pour souci de maintenir vivant un point de contact entre la raison et la foi, entre le visible et l’invisible. Il s’agissait, pour ce pôle de la connaissance mystique, d’approfondir la foi, afin de rester en communication avec le Prophète (Qsssl). La foi comme acte de confiance et l’acte de raisonner comme comportement que l’on doit prendre pour assumer la vie. Il était un mystique pris par le souci de suivre les traces du Prophète (Qsssl), le modèle par excellence, l’Homme total.

Les nombreux maîtres soufis algériens, maîtres de l’heure, fondateurs et insurgés, à travers les siècles, à l’image héroïque de l’Emir Abdelkader, qui ont combattu pour défendre la communauté, l’éclairer et l’éduquer sur le chemin de la droiture et de l’esprit chevaleresque, ont oeuvré avec abnégation. Ibn Arabi l’Andalou, était l’un deux, sillonnant le Maghreb, échangeant avec ses frères soufis et enseigna à Béjaïa et Tlemcen au XIIe siècle.

Cet héritage spirituel, d’Ibn Arabi à l’Emir Abdelkader, dont le fondement est le Coran, Rappel révélé pour la dernière phase de l’histoire de l’humanité, et la Sunna, première mise en oeuvre, est l’alpha et l’oméga de tout vrai croyant. Source d’inspiration pour garder confiance en soi et forger une société juste, forte et digne, face aux défis éthiques de notre temps.

Mustapha CHÉRIF

LE RACISME ANTIMUSULMAN


LE RACISME ANTIMUSULMAN

Un électoralisme ignoble

Par Mustapha Cherif


Journal l’Expréssion
17 Mars 2011 - Page : 8

Il n’y a qu’un seul Islam, universel, valable en tout temps et tous lieuxDes pays européens, régressent sur le plan démocratique. L’extrême droite déborde et les surenchères populistes sur le terrain de la xénophobie suscitent le racisme antimusulman. Le droit à la différence est nié sous couvert de défense de la laïcité instrumentalisée, devenue une idéologie sectaire: le laïcisme. En réaction des extrémistes se comportent mal.

Alors que les autres cultes sont plutôt indépendants, autre reflet de la politique du deux poids, deux mesures, un discours tendancieux, néocolonial, depuis des années s’ingère et prétend concocter un «Islam local». Soyons clairs: c’est , un contresens et un enfermement. L’Islam est un. Il n’y a qu’un seul Islam, universel, valable en tout temps et tous lieux. Ce sont les cultures et les rapports humains à la référence fondatrice qui sont multiples et évolutifs.
Sous prétexte de  de modernisation, les ingérences indécentes et délibérées se font pressantes dans les affaires internes et sacrées du culte musulman.Le dialogue interreligieux et le dialogue interculturel peuvent améliorer la situation, la responsabilité est partagée.

Le respect de l’égalité des individus et la protection de la liberté de culte sont parmi les finalités de la laïcité et de la culture arabe. La tentation de faire du laïcisme l’équivalent séculier de la religion et une arme contre les musulmans est une absurdité choquante. Cela est illustré avec la loi d’interdiction du port du voile à l’école et des procès récurrents contre la religion musulmane. Cette version de la laïcité n’adopte pas une position de neutralité et de respect de toutes les convictions. Elle discrimine sciemment la communauté musulmane.
Depuis longtemps, je tente de sonner l’alerte. Ma rencontre avec le pape Benoît XVI en 2006, s’inscrivait dans cet horizon. Il y a une année, dans un de mes articles, je posais la question: en Europe «Les années 1930 sont-elles devant nous?». Depuis, la menace se fait probante. Il n’y a encore ni pogroms, ni rafles, ni camp d’internement, mais l’emballement est plus que grave. Les prétendus débats sur l’Islam, subterfuges politiciens électoralistes, qui agitent le chiffon rouge de «l’islamisation rampante» mèneront à des lendemains sombres.


Rappelons-nous les drames à la fin du XXe siècle à Srebrenica et à Sarajevo, au coeur de l’Europe. Des courants politiques,  nourris par le néocolonialisme, e, sur le terrain de l’extrême-droite, tentent de construire de manière odieuse leur base électorale contre le musulman. Tous les hommes de bonne volonté, avec la plus grande fermeté, doivent s’opposer à cette dérive monstrueuse qui érige l’islamophobie en politique officielle et suscite des fractures dangereuses.

Discours délirants


La question de la diversité religieuse et culturelle est un défi pour les sociétés contemporaines du Nord et du Sud. La manipulation en cours, du thème de l’Arabe et de l’Islam au sujet de la prétendue incompatibilité du troisième rameau monothéiste avec le système de valeurs modernes est un mensonge et une faute, pour faire diversion.
Pour masquer des échecs politiques, économiques, culturels, il est devenu banal de se déclarer islamophobe, porté par la propagande du bouc émissaire. C’est un prolongement de l’antisémitisme.

Cette posture  nourrie par les préjugés et la désinformation, dérive vers le rejet du droit à la différence et des principes démocratiques. La question de la laïcité ne concerne pas que les citoyens de confession musulmane ou les immigrés, mais toute la société, car elle a trait à l’équité et à l’égalité dans la Cité. Les musulmans sont discriminés, demain ce sera le tour d’autres catégories sociales.


Des phénomènes marginaux sont amplifiés pour servir de prétexte à l’amalgame et dicter une conception sectaire et raciste du monde, qui contredit les convictions d’une partie des citoyens. Les xénophobes et courants dogmatiques,  considèrent, sans preuve, que la laïcité «ouverte» contredit leur version. Ils éludent le fait que la laïcité n’est point monolithique, ses principes peuvent entrer en conflit, tels comment concilier la neutralité des institutions et le respect de la liberté religieuse?
D’autant qu’il y a des régimes laïcs pluriels, qui se conjuguent sous des formes différentes. Une laïcité rigide et dogmatique, restreint le droit à la liberté de conscience et de culte et vise l’inadmissible ingérence.

Une laïcité ouverte et positive permet le respect de la liberté de religion et favorise celui de la diversité, la cohésion sociale et le vivre-ensemble. L’exigence de neutralité, que préconisent les principes de la laïcité, s’adresse aux institutions et non pas aux individus.
Dans le contexte de la crise économique, du laïcisme, de la montée de la xénophobie, alors que la laïcité garantit l’égalité en droit des options spirituelles, est contesté le droit pour les musulmans de vivre ouvertement et collectivement leur foi, sans porter atteinte à l’ordre public.


L’instrumentalisation grossière de la laïcité, la remise en cause de la diversité confessionnelle et la stigmatisation d’une communauté harcelée, rappellent la peste brune. Politiquement et moralement, c’est criminel.
Nous assistons à une remise en cause de la démocratie et de la vraie laïcité, pour une laïcité ségrégationniste qui ne vise pas seulement à séparer le religieux et le politique et à maintenir la foi dans la sphère privée, mais à tenter de domestiquer et marginaliser l’Islam, à le rendre inopérant, en reléguant au second plan la protection de la liberté de religion. C’est se tromper lourdement. L’Islam est haut et  élevé que nul ne peut l’atteindre. Il n’y a pas d’alternative au dialogue et à l’autocritique pour tous. Ce qui pose un  problème concerne les discriminations et atteintes dont seront de plus en plus victimes les citoyens de confession musulmane.

L’idolâtrie et le fétichisme et les calculs politiciens électoralistes s prennent le pas sur le respect de la liberté de conscience, qui est pourtant la finalité principale du principe de laïcité et de civilisation.
Il est temps de revenir à l’esprit des Lumières et des valeurs Abrahamiques qui ne cherchent pas à imposer une conception particulière du monde, ni à interdire de manifester ses convictions, mais à distinguer entre les sphères du religieux et du politique et à respecter la liberté de chacun. L’accommodement et l’acceptation de la diversité religieuse sont une question fondamentale, de justice sociale.


Du fait que l’opinion publique européenne est attachée à la laïcité et suspicieuse envers les demandes motivées par la croyance religieuse, il faut éduquer à l’acceptation de la diversité pour défendre la laïcité ouverte et faire reculer le racisme. L’heure devrait être au respect des finalités de la laïcité et au refus du débat biaisé de toute ingérence dans le culte.
La modernité, la laïcité et le vivre-ensemble ne signifient pas la dépersonnalisation, l’oubli des origines et le refoulement des convictions. C’est la démocratie qui est en jeu et la dignité des Hommes. Les causes de l’islamophobie sont anciennes: l’ignorance, les situations de crise et des stratégies de diversion par l’invention d’un bouc émissaire.

Des Européens objectifs recherchent des réponses respectueuses à la fois de la liberté de conscience et du principe de séparation entre l’Etat et les Eglises. Parler de la laïcité, du vivre- ensemble et du droit à la différence nécessite un savoir, du recul et une pédagogie qui font défaut dans des discours dominants. Par le dialogue interculturel nous pouvons progresser.

Ce n’est pas seulement au musulman de s’adapter


En ce qui concerne la responsabilité des musulmans, il faut qu’ils mettent fin à la fermeture, à la passivité. L’heure est à l’ouverture et au dialogue, à la mobilisation. Les réactions quasi unanimes et courageuses d’intellectuels   et autres personnalités augurent d’une prise de conscience salutaire. En effet, en alliances avec toutes les forces attachées au droit et à l’équité, l’action citoyenne est incontournable pour dignement s’opposer à la bête immonde. Il y a lieu aussi de continuer à se démarquer des courants ultraminoritaires rigoristes, en montrant que le fondamentalisme est l’anti-Islam et l’antihumanisme.


En Europe, l’immense majorité des citoyens musulmans est bien intégrée et prouve ses compétences et qualités. Cette réalité est déformée. Les croyants recherchent l’approfondissement de leur culture et foi de manière vivante, paisible et ouverte. Ils participent sans complexe à la vie de la Cité. Ils savent que leur culture et religion fondent la sécularité ouverte, la laïcité positive, le droit à la différence, la vie sous la forme du savoir et le vivre-ensemble.
Ce n’est pas du «communautarisme» que de vouloir vivre collectivement et publiquement sa foi.


Les signes de cette intégration sont multiples: pratique religieuse intériorisée, créativité culturelle, adaptation à la culture locale, réflexions théologiques liées au contexte et engagement citoyen dans les luttes sociales.
Le monde est un village planétaire et les jeunes prouvent qu’ils sont capables de coexister, de partager et d’échanger, par-delà leur diversité et sensibilité. Ce n’est pas seulement au musulman de s’adapter et de vouloir. Les musulmans refusent l’arrogance et le racisme avec lesquels on parle du citoyen musulman, comme s’il était susceptible de n’accéder à la citoyenneté que s’il devient amnésique, refoule ses racines et nie sa foi.


Les croyants de confession musulmane n’exigent pas seulement que leur différence soit tolérée. Ils demandent davantage qu’un simple «droit de survivre» en marge, mais le droit de vivre avec, de manière digne, libre et autonome. Ce qui est en jeu c’est l’Etat de droit, pas seulement le sort des musulmans.
L’instrumentalisation de la laïcité et les ingérences dans le culte musulman, qui ne sont pas seulement un simple électoralisme ignoble, mais une politique antimusulmane délibérée, sont vouées à l’échec.


Il faut oser le dire, la présence musulmane est une chance et un enrichissement pour l’Europe. En plus de sa vitalité et force de travail, elle contribue à l’humanisation, à faire reculer la désignification du modèle dominant marchand, crée de l’émulation quant aux valeurs de l’esprit, spirituelles et éthiques et repose des questions refoulées: celle de la Cité juste, qui a du sens. Les musulmans acceptent les vrais débats, pas les anathèmes, ni le fonds de commerce et les stigmatisations. Aujourd’hui, les élites, en Rive Nord, sont face à leur responsabilité, pour résorber la fracture, recréer du lien et être à la hauteur du défi du vivre-ensemble.

(*)
www.mustapha-cherif.net