Le savoir, condition du développement

Le savoir, condition du développement

L’avenir dépend de la culture et du dialogue interculturel. L’Université arabe, malgré des richesses humaines, des atouts et des progrès, est mal en point. Elle ne figure pas dans les 100 meilleures du monde. Compte tenu de la crise du libéralisme sauvage et du difficile contexte, elle produit des chômeurs au lieu des créateurs d’emploi et de richesses. En raison de la complexité, de l’importance et de la rapidité des changements et des enjeux de rapports de force dans le monde, la société moderne est de plus en plus fondée sur le savoir. L’enseignement supérieur et la recherche sont les composantes essentielles du développement sur tous les plans, culturel, social et économique des individus, des communautés et des nations. Les centaines de projets par laboratoires ne suffisent pas à répondre aux besoins s’il n’y a pas la cohérence. C’est-à-dire si un ambitieux projet de développement avec des priorités n’est pas clairement élaboré. Il est urgent de donner la priorité à l’Université pour garantir la qualité de l’enseignement et former des citoyens compétents, équilibrés et responsables.

Sans pôles d’excellence, il n’y a pas d’avenir

Si on ne produit pas une culture tolérante, ouverte et démocratique, des richesses techniques, scientifiques et culturelles, adaptées à nos besoins, on restera en retard. L’enseignement supérieur dans le monde arabe est confronté à de formidables défis et doit se transformer et se rénover plus radicalement qu’il n’a jamais eu à le faire, de sorte que la société, qui connaît aujourd’hui une  prise de conscience, une crise de sous-développement, puisse se fixer une stratégie. Il s’agit de transcender les considérations à courts termes et intégrer des dimensions plus profondes à moyen et long termes pour former une élite patriote et compétente. Sans les sciences, toutes les sciences, enseignées dans des pôles d’excellence, il n’y a pas d’avenir conséquent. Il ne s’agit pas d’élitisme, mais de haute compétence. Dans le contexte de priorité aux sciences, on doit être capables de maîtriser les technologies et les connaisances. Elles sont de plus en plus utilisées de façon variable par les établissements d’enseignement supérieur à travers le monde.
Les TIC notamment apparaissent autant comme une prestation valorisante sur le campus que comme un enseignement ouvert et à distance. Développer des politiques dans le domaine des TIC dans l’enseignement supérieur est une priorité. Les TIC dans l’enseignement supérieur sont utilisés pour développer les matériels de cours, la distribution et partage des contenus, la communication entre les étudiants, les enseignants et le monde extérieur, la création et la diffusion de présentations et de conférences, la recherche académique, le soutien administratif, l’inscription des étudiants. Malgré des efforts,  il reste du chemin à parcourir.
Les établissements d’enseignement supérieur des pays en développement ont besoin de capital humain valorisé, et une adaptation des formations à leurs besoins propres. Des progrès sont possibles malgré les défis posés par les infrastructures technologiques insuffisantes, un manque de formation des enseignants, un déficit de spécialistes avec une expérience en technologie de l’information pour aider au développement des TIC, à la maintenance, et à l’aide technique dans les établissement d’enseignement supérieur. Selon tous les spécialistes, les plans d’action et les investissements en matière de TIC sont toujours bénéfiques pour les institutions d’enseignement supérieur même s’ils ne remplacent pas toujours les modes d’apprentissage ou d’enseignement classiques. Assurément, comme le prévoyait la création de l’Université de la formation continue, les TIC peuvent fournir un plus grand accès pour les différents étudiants ciblés, et sont des moyens incontournables pour des expériences pédagogiques enrichies, en particulier pour les éducateurs à distance et les étudiants séparés par le temps et l’espace. L’enseignement à distance, virtuel est un axe d’avenir.

Compter sur nous mêmes

Pour pouvoir tirer profit des expériences des autres pays et compter sur nos propres atouts, il faut analyser les différents contextes de recherche scientifique à travers le monde, ainsi que leurs implications dans la production d’une base de connaissances adaptée pouvant à la fois soutenir les politiques nationales de développement et se greffer aux réseaux internationaux de la recherche. Pour suivre les nouvelles découvertes, il est urgent de compter sur nos élites qui souhaitent contribuer au développement. Connaître, cartographier et analyser les systèmes de recherche est une nécessité absolue en fonction de nos centres d’intérêt. Il s’agit, dans ce cadre, de faciliter les investissements dans le domaine de la recherche et faire face aux défis et obstacles spécifiques à nos pays. Ainsi, les experts prennent en considération les environnements favorables, les facteurs contraignants, et la diversité des défis posés par les transformations majeures. Renforcer le rôle de l’enseignement supérieur dans la société du savoir d’aujourd’hui en tant qu’élément essentiel du développement culturel, social, économique et politique, passe par une refonte complète du système.
En ce XXIe siècle, la compétitivité d’un pays dépend de sa capacité à produire une culture démocratique et à assimiler les connaissances pour défendre sa souveraineté, engager son développement et consolider son identité. La culture, la recherche scientifique et l’Université doivent assumer un rôle fondamental dans la production, la diffusion et l’assimilation du savoir au service de la patrie et de l’humanité. Il est donc essentiel de développer ce secteur pour sortir du sous-développement et améliorer la compétitivité du pays. Malgré d’importants acquis et de gigantesques investissements, à voir l’état  des routes et des villes, l’état des hôpitaux et des infrastructures et plus encore au vu de la violence sociale, de la dégradation de l’environnement et de la bureaucratie régnante, il y a de quoi déclarer un plan de redressement national dans tous les domaines pour assurer la bonne gouvernance. A commencer par l’université qui, malgré ses potentialités n’arrive pas à se gérer suivant les normes internationales. Comment peut-on oublier que la mondialisation affaiblit encore plus les faibles? Les avancées technologiques ont accéléré sa généralisation par-delà les frontières, mais les faibles sont ceux qui consomment sans maîtriser l’outil. La connaissance, tout comme les économies fondées sur le savoir, deviennent mondiales dans leur orientation, leur portée et leur mode opératoire, les forts sont ceux qui les produisent ou les adaptent. Dans un contexte de mondialisation et de commerce international, le processus de production du savoir dépend et des forces du marché et de la volonté politique à intégrer la culture des techno-sciences. Le savoir est ainsi devenu une arme de domination, pas seulement une marchandise comme une autre, qui s’échange.
Quand oserons-nous mettre en place des segments de l’industrie technologique, surtout en ces temps de crise, un partenariat est possible, qui générera de l’emploi et mettra les ingénieurs algériens face à leur responsabilité? La technologie étant un des facteurs de toute modernisation, autant que le bâtiment, au lieu de se limiter à acheter de l’étranger et ainsi garantir l’emploi à d’autres sociétés. La dépendance alimentaire, sanitaire et scientifique transforme tout pays en zone «fragile» sous de nouvelles formes. L’Université arabe et tous les secteurs concernés par la synergie doivent se mobiliser pour accéder au management de haute qualité.

La mondialisation et les compétences

L’enseignement supérieur en Occident attire les investissements de capitaux, stimule la compétition et génère des profits parfois plus élevés que dans d’autres domaines, et participe ainsi à la mondialisation de l’économie. Mais, dans de nombreux pays, les systèmes éducatifs ne peuvent pas fournir le nombre requis de professionnels hautement qualifiés, ce qui, paradoxalement, encourage la fuite des cerveaux, la migration d’intellectuels ayant un niveau de qualification. La compétition mondiale pour attirer des personnes qualifiées et la «guerre des cerveaux» faisant rage, on doit encourager des formes de participation multiples, comme par exemple l’enseignement à distance, espérant ainsi profiter des compétences expatriées, pour atteindre le nombre de diplômés qualifiés. L’éducation transfrontalière est devenue un élément important de la mondialisation de l’enseignement supérieur de demain, renforçant la mondialisation économique.

Les institutions s’intéressent plus particulièrement à l’éducation à distance  – nouvelle source de revenus – au moment où les places pédagogiques sont limitées et que le financement des gouvernements s’amenuise. Selon les estimations, les revenus assurés par les étudiants étrangers constituent plus du tiers du budget total de certaines universités occidentales. Les étudiants s’engagent dans l’éducation à distance, car les obstacles, espace et temps et retours sur investissement sont intéressants au niveau personnel. Autrement dit, les intérêts de ceux qui demandent et ceux qui offrent l’éducation  sont en concordance.
Les quatre modes d’enseignement supérieur à distance sont fonction de la mobilité des programmes et des matériels didactiques, des étudiants, des fournisseurs de services éducatifs, des enseignants. Entreprendre des recherches sur toutes les formes d’accès au savoir dans 20 ans est une priorité d’aujourd’hui, un sujet d’avenir. Les études sur les universités virtuelles insistent sur la souplesse des programmes et des cours via Internet.  Depuis 2009, par exemple, à mon initiative, l’Université Ouverte de Catalogne, à Barcelone, qui offre déjà plus de soixante masters scientifiques et culturels, propose un Master international en  Civilisation musulmane, (www.uoc.edu) que tout étudiant dans le monde peut suivre par Internet, selon des conditions simples. C’est l’interculturel et l’université à domicile. Le monde arabe a intérêt à retrouver le chemin des innovations dans les domaines-clés de l’éducation pour enrichir ses valeurs,  renforcer l’Etat de droit et sortir du sous-développement. Il n’y a plus de temps à perdre.Le savoir et le savoir faire sont les conditions du développement et de la bonne gouvernance. C’est possible.

(*) Mustapha Cherif

Une réflexion au sujet de « Le savoir, condition du développement »

  1. GUERFI

    Bien cher Professeur,

    L’université, doit en grande partie son existence à la civilisation Islamique.

    Des preuves de plus en plus nombreuses indiquent que c’est dans l’islam médiéval que nous devons chercher l’origine de l’université elle-même.

    Les plus grands centres intellectuels musulmans fonctionnaient depuis bien plus d’un siècle quand les premières universités furent fondées en Europe.

    Le collège-mosquée d’Al-Qarawiyyin à Fez (Maroc) fut établi en 859, celui de Cordoba au début du dixième siècle, le collège-mosquée d’Al-Azhar au Caire en 972 et la Maison de la sagesse dans la même ville au onzième siècle.

    En Europe, les premiers centres d’éducation supérieure apparurent beaucoup plus tard.

    Une des personnalités éminentes dans le domaine des études orientales en Angleterre, le Professeur Alfred Guillaume, affirmait dans la première édition de The Legacy of Islam (Oxford 1931) que l’on aurait la preuve d’une liaison entre les universités islamiques et celles de l’Ouest, si l’on trouvait une explication satisfaisante du terme médiéval «baccalareus» ou « baccalaureus » – dont dérive le terme français « baccalauréat».

    On se plaît à dater la création des premières universités de l’emploi du terme « universitas » durant le moyen âge, à partir de 1215 pour la future Sorbonne, de 1249 pour Oxford, de 1284 pour Cambridge….

    Cette vision est éminemment discutable, dès lors qu’il s’agissait de corporations de clercs enseignant d’autres clercs, et bénéficiant de privilèges royaux vis à vis des autorités locales de polices.

    Toutes ces institutions étaient strictement dépendantes de l’Eglise et leur sort fortement lié à des débats théologiques.

    En tant qu’organisations autonomes, dédiées à la production et à la diffusion des savoirs les plus élevés, les universités modernes sont nées avec les sociétés industrielles, à un moment où la créativité sociale se définit en termes de progrès.

    L’université est comme une institution seule souveraine, indépendante de la « souveraineté indivisible » du dehors, une université qui ne se confine plus dans les murs de ce qu’on appelle traditionnellement université.

    Il est vrai que nous sentons un bouleversement important au sein de l’université, aux
    conséquences clairement néfastes.

    Nous constatons des évolutions inquiétantes dans ce lieu d’inconditionnalité à la recherche de la vérité, ce lieu de critique, ce lieu où on peut tout dire
    publiquement mais surtout dans ce lieu de résistance aux tentatives d’appropriation par des
    institutions aux intérêts propres d’ordre économiques, etc

    Ces forces extérieures essaient d’intégrer ce lieu de formation, de discussion, de déconstruction, de recherche de la vérité pour y établir des notions bénéfiques pour la société.

    Mais ce bénéfice ne s’applique en réalité qu’au savoir, à la technique et au monde technoscientifique.

    L’université se trouve et se retrouve dans tous les lieux où l’acte de déconstruction se donne, où l’inconditionnalité se défend, où l’université pense et se pense.

    Or, l’université dans cette mouvance actuelle se dirige vers un concept d’affranchissement de son
    enracinement local.

    Les productions performatives par l’analyse et la critique de tous les domaines présentées précédemment doivent permettre ainsi de se détacher de cette notion du possible et du peut-être.

    Ce sont donc par un cadre élargi, que l’université laissera place à l’événement, à l’impossible, ce possible impossible par lequel l’université de demain se revendiquera.

    Nous nous inquiétons de la place mal traitée et négligée de la philosophie, indispensable dans une
    compréhension de soi et du monde qui nous entoure, indispensable en tant que référence et ressource de la déconstruction.

    Mais pour autant le monde technoscientifique l’emportera-t-il sur la sagesse ?

    Ne faut-il pas laisser le temps à l’université
    de comprendre ce bouleversement rapide et terrifiant en cours, de l’analyser et d’évoluer en conséquence ?

    Amitiés bien fraternelles.

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